Haïku express

Voile rapiécée 

rides sur la nuque

ses yeux invaincus

Comment prendre le train du haïku express ? vous demandez-vous. 

(Le haïku express est à la poésie ce qu’une soupe de rogatons est au velouté de topinambour aux éclats de châtaignes fraîches.)

La recette du haïku express s’inspire de la cuisine (littéraire) de deux chefs : Lucien Suel et un écrivain classique.

Lucien Suel compose des poèmes express. Ici est son blog, SILO. Son conseil : prenez une page d’un mauvais roman, gardez les mots qui vous importent. Vous obtenez un poème. C’est une forme de caviar d’âge poétique…

Inspiré de cette démarche, le haïku express prend une page d’un roman célèbre (pas forcément mauvais) et en conserve des mots pour composer un haïku de 17 syllabes. 

Exemple : Le Vieil Homme et la mer, d’Ernest Hemingway, écrit en 1952 en anglais, dans la nouvelle traduction en français de Philippe Jaworski (Gallimard, 2017).

Voici le point de départ (les expressions soulignées nous serviront pour composer notre haïku ; bien entendu, chacun peut choisir d’autres mots, voire n’importe quel roman — un jeu à faire seul, en famille ou entre amis) :

« C’était un vieil homme qui pêchait seul sur une barque dans le Gulf Stream et en quatre-vingt-quatre jours il n’avait pas attrapé un seul poisson. Les quarante premiers jours, un garçon l’accompagnait. Mais après quarante jours sans la moindre prise, les parents du garçon lui avaient dit que le vieil homme était décidément et irrémédiablement salao, c’est-à-dire guignard au dernier degré, et le garçon obéit à leurs ordres et monta sur un autre bateau qui prit trois gros poissons la première semaine. Le garçon était triste de voir le vieil homme rentrer chaque soir la barque vide et il descendait toujours à la plage pour l’aider à porter soit les rouleaux de ligne soit la gaffe et le harpon et la voile ferlée autour du mât. La voile était rapiécée avec des sacs de farine et, ferlée, on aurait dit le pavillon de la défaite perpétuelle.

Le vieil homme était mince et sec, avec des rides profondes sur la nuque. Les taches brunes du cancer bénin de la peau que provoque la réflexion du soleil sur la mer tropicale marquaient ses joues. Les taches descendaient bas de chaque côté de son visage et ses mains portaient les cicatrices des entailles que font les cordes quand on hale de lourds poissons. Mais aucune de ces cicatrices n’était récente. Elles étaient aussi vieilles que des érosions dans un désert sans poisson.

Tout en lui était vieux à l’exception de ses yeux qui avaient la couleur de la mer et qui étaient joyeux et invaincus. »

Ce dispositif est très productif. Ainsi, avec le même texte de départ, on obtient d’autres haïkus express :

Désert sans poisson

défaite perpétuelle 

couleur de la mer

ou encore :

Quatre-vingt-quatre jours

on hale de lourds poissons

ses yeux invaincus

Prime de Noël : Timothée Couteau au violoncelle, extrait de son dernier album : Des chevilles dans la tête

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