Poser cette question à cet endroit, prendre la peine de la formuler et de considérer cet instant particulier, lui être attentif, c’est envisager la fleur comme être vivant, lui faire une petite place dans un vaste monde.
Distinguer ce moment et nommer sa mort, c’est habiter poétiquement le monde, fût-il moche ce monde, surtout à cet endroit, dans le métro gorgé de publicités, avec sa foule empressée. Une foule dont nous sommes chacun un élément à peine identifiable. Or, un jour, dans ce flux, un homme, une femme, s’est arrêté.e, est devenu photon, grain de lumière.
Cette question est d’une infinie poésie, car elle désigne un lieu malgré la futilité du moment. Cette question crée dans notre espace mental, dans notre imaginaire, une petite place. Elle veut nous dire, cette question, qu’il y a un endroit au monde, un endroit particulier, intime et invisible, là où gisent les détails. Cette question ne dit pas autre chose que « la mort d’une fleur est une manifestation qui mérite que l’on s’y arrête, qu’on lui soit attentif », c’est un événement, que toute mort d’une fleur est un événement.
Savoir le reconnaître ce moment c’est voir le monde autrement, jusque dans ses détails, au sens propre, essentiels. Car considérer le moment où se fane une fleur, en avoir le souci, c’est arrêter le temps, faire une pause dans le continuum de la fuite du temps. Cette question souligne et amplifie cette pause pour en faire un moment particulier, une épiphanie, la manifestation d’une réalité cachée.
Cette question n’est pas une question, elle est un poème qu’aurait pu écrire Walt Whitman, auteur du recueil bien nommé Feuilles d’herbe, en 1855 :
Pour penser au temps, à la vie, à la mort,
Je m’esseule souvent dans les bois qui me connaissent bien,
Je vais flâner sur les rives tranquilles
où les grands joncs flexibles
Savent les moindres inflexions du vent qui passe.
Il n’est pas besoin d’être poète pour habiter poétiquement le monde, il suffit de s’arrêter un instant sur ses manifestations les plus anodines, les considérer et, en les nommant, les célébrer en quelques mots.
Flâner là où se fane une fleur, là est la poésie.