« Aucune langue n’est langue maternelle » et « On devient poète (si tant est qu’on puisse le devenir, qu’on ne le soit pas tous d’avance !) non pour être français, russe, etc., mais pour être tout.»
Marina Tsvetaïeva écrit une lettre à Rilke le 6 juillet 1926 (trad. Philippe Jaccottet, dans Rainer Maria Rilke, Boris Pasternak, Marina Tsvétaïeva, Correspondance à trois. Été 1926, Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 2003, p. 211).
Dans cette lettre, elle évoque les derniers poèmes, écrits en français, du poète allemand :
« Goethe dit quelque part qu’on ne peut rien réaliser de grand dans une langue étrangère – cela m’a toujours paru sonner faux. […] Écrire des poèmes, c’est déjà traduire, de sa langue maternelle dans une autre, peu importe qu’il s’agisse de français ou d’allemand. Aucune langue n’est langue maternelle. Écrire des poèmes, c’est écrire d’après. C’est pourquoi je ne comprends pas qu’on parle de poètes français ou russes, etc. Un poète peut écrire en français, il ne peut pas être un poète français. C’est ridicule. Je ne suis pas un poète russe et c’est toujours un étonnement pour moi d’être tenue pour telle, considérée comme telle. On devient poète (si tant est qu’on puisse le devenir, qu’on ne le soit pas tous d’avance !) non pour être français, russe, etc., mais pour être tout. Ou encore : on est poète parce qu’on n’est pas français. La nationalité est forclusion et inclusion. Orphée fait éclater la nationalité, ou l’élargit à tel point que tous (présents et passés) y sont inclus. »
Source : Vincent Teixeira, « La langue de personne ou l’outre-langue des écrivains de nulle part », Fabula-LhT, n° 12, « La langue française n’est pas la langue française », mai 2014, URL : http://www.fabula.org/lht/12/teixeira.html, page consultée le 21 février 2017.