« On devrait interdire de se gausser de qui s’aventure dans une langue étrangère. Un matin, en sortant du métro, je me suis rendu compte que je m’étais trompé de station : à peu près la même couleur bleue, presque le même nom que la sienne, j’ai téléphoné de la rue et je lui ai dit : je presque arrive. Dans le même temps, je me suis douté que j’avais lâché une bêtise, car ma professeur m’a demandé de répéter ma phrase. Je presque arrive… c’était probablement le mot presque qui posait problème. Oui mais voilà au lieu de me signaler l’erreur, elle me l’a fait répéter, répéter, répéter, et là-dessus a éclater de rire, un rire en cascade, du coup j’ai raccroché. En me voyant sur le pas de sa porte, elle a eu une nouvelle crise, mais plus sa bouche essayait de la réprimer, plus tout son corps était convulsé de rire. Elle a fini par me dire qu’elle avait compris que j’arrivais petit à petit, d’abord le nez, puis une oreille, puis un genou, une plaisanterie que je n’ai pas trouvé tellement drôle. »
Ce texte de Chico Buarque est extrait de Budapest (Gallimard, 2005), traduit par Jacques Thériot, placé en ouverture du recueil de nouvelles Brésil 2000-2015, ouvrage présenté et coordonné par Luiz Ruffato pour les éditions Métailié, dans la collection Suites, en préfiguration du Salon du livre de Paris (20-23 mars 2015) où le Brésil est l’invité d’honneur.