Au Congo : « Vive les corbillards, à bas les ambulances ! ».

Le commerce des Congolais avec la mort a de quoi étonner. Deux affaires récentes relèvent de la farce, sans bien entendu faire oublier les conflits meurtriers de l’est de la RD Congo, où le viol est une arme de guerre et de ce côté-ci du fleuve, à Brazzaville, la dernière catastrophe en date : l’explosion du dépôt de munitions du quartier de Mpila le 4 mars 2012 (300 morts, 2 300 blessés et de nombreux sinistrés).
Les deux affaires qui suivent sont inouïes. Elles auraient pu trouver place dans African Psycho, d’Alain Mabanckou, où Angoualima dialogue avec les résidents du cimetière…
Dans ce qui va être conté ans tarder, point de fiction, tout est réel…

À Brazzaville, le 26 août dernier les amis du danseur Prince Dethmer Nzaba sont bien tristes. Les réseaux sociaux annoncent « le décès de l’artiste danseur Prince Dethmer Nzaba, survenu à la suite d’un accident de moto. Il est vrai que Dethmer avait depuis quelque temps une santé fragile, mais il est resté cette belle personne toujours proche des siens. Puisse Dieu accueillir cette âme qui nous a tant émus. »
Les obsèques ont lieu en grande pompe.
À la mi-septembre, une seconde annonce prend l’allure d’un canular, car « Dieu merci ! Prince Dethmer Nzaba est vivant. » Il a tout simplement été… détenu trois semaines dans une geôle municipale. Pourquoi ? Comment ? On se dit qu’il devait y avoir quelque raison… ou pas.
Plein de bon sens, les réseaux sociaux percutent… « à la congolaise » : « Il faut juste retrouver la famille de l’autre cadavre qu’on a enterré à sa place pour qu’elle rembourse l’enterrement enfin je sais pas comment ça va se passer…mais c’est une histoire dingue ! Bon retour à toi Dethmer et longue vie. »

Un mort aurait-il profiter des obsèques pour se nicher à la coule dans le premier cortège ? On en était là de nos questions pathétiques, lorsque survint l’affaire des corbillards de la capitale.
« La semaine dernière, la mairie de Brazzaville a doté le service municipal des pompes funèbres, de 15 corbillards flambant neufs, écrit La semaine africaine. De marque Toyota BJ 75 (une marque qui s’adapte très bien sur les routes du Congo), ces fourgons noirs ont été livrés à un moment où, effectivement, les Brazzavillois ont eu besoin de nouveaux véhicules pour transporter les cercueils. Signalons qu’à cause du nombre insuffisant de corbillards amortis par l’usage et le temps, les pompes funèbres municipales étaient obligées de prendre, parfois, deux cercueils par course. »

Après l’affaire Dethmer, l’affaire des corbillards confirme que la colocation funéraire se porte bien et que… la réalité dépasse la fiction.
La lecture de l’article, signé S.A. Zanzala, ancien conseiller départemental du Pool, est une telle délectation, que voici d’autres extraits à la saveur de foufou :
« Cette situation était très pénible, non seulement pour les familles éprouvées qui devaient précéder les corbillards aux lieux d’inhumation où elles devaient les attendre, parfois sous un soleil accablant, pendant des heures et des heures, mais aussi et surtout, pour les chauffeurs qui, des fois, étaient obligés de traverser toute la ville pour aller collecter, comme un service de messagerie, les cercueils, ces « colis sans valeur », comme on dit dans le jargon de la messagerie, qui étaient amenés aux domiciles ou dans les lieux de culte.
(…) On apprend que deux familles appartenant à une même tribu se seraient, par inadvertance, échangées les cercueils qu’elles ont enterrés dans deux cimetières différents.
Néanmoins, c’est au moment où l’une d’entre elles a ouvert le cercueil pour saupoudrer le mort avec le soufre et verser l’acide, afin de l’incinérer, qu’elle s’est rendu compte de cette situation malencontreuse qui lui a causé du tort et de l’embarras.
Et, comme la journée était bien avancée, et il était temps pour fermer le cimetière, les croque-morts n’ont pas eu une autre solution que d’enterrer le mort, ranger leurs outils de travail et rentrer chez eux. On ne sait pas si dans l’autre cimetière, l’autre famille s’en était, elle aussi, rendue compte.
C’est donc pour mettre fin aux dures épreuves et à des telles scènes vécues par les familles que la mairie centrale de Brazzaville a acquis quinze nouveaux corbillards qui font la joie de tous [sic].
(…)
Les Congolais font non seulement des hautes spéculations, mais aussi des liens forts entre la construction d’un nouveau pavillon à la morgue municipale de Brazzaville, l’achat des nouveaux corbillards, le commerce des ossements humains et les pratiques magiques dans lesquelles leurs dirigeants seraient devenus de grands maîtres. Car de mémoire d’homme, un tel investissement n’a jamais eu lieu dans l’achat des ambulances, que ça soit du côté du gouvernement ou de celui de la mairie centrale. Pourtant, il s’agit là de sauver des vies humaines.
(…)
Alors que vu le nombre d’évacuations sanitaires enregistrées chaque jour dans les différents centres médicaux ou hospitaliers de Brazzaville, c’est dans l’achat des ambulances et non dans celui des corbillards que les autorités nationales ou municipales devraient investir pour convaincre les Congolais sur leurs efforts dans le développement du secteur de la santé. Sous d’autres cieux où l’amour de l’autre est bien pratiqué, il y a aussi des hélicoptères-ambulances médicalisés.
Et, justement, c’est au cours de l’année 2013, déclarée « année de la santé », que le gouvernement congolais devrait, entre autres, doter d’ambulances tous nos grands centres de santé, afin que les Congolais, souvent pessimistes sur le développement ou l’émergence de leur pays en 2025, ne soient pas tentés de dire : « Vive les corbillards, à bas les ambulances ! ».

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