J’aime les librairies aux caisses entourées de livres minuscules, de petits formats, petits prix, ou coups de coeur du libraire. La librairie l’Atelier, rue du Jourdain, Paris XXe, dont j’ai vanté les mérites à l’automne, propose en vitrine une collection éditée par FMR/Panama et dont chaque ouvrage est préfacé par José Luis Borgès.

Le Miroir qui fuit de Gioanni Pannini est un de ceux là. Le titre dit bien le fantastique de l’affaire. Passons. A côté, les libraires ont disposé un livre de 47 pages, Le Vie de personne, édité par Allia, dans une collection repérable immédiatement, à 3 euros, qui suscite l’éloge.
Ce Papini écrit tout d’abord quelques pages pour dire à un ami qu’il ne saurait lui dédié son livre, à l’incipit incisif :
Cher Vannicola,
Je n’ai aucunement l’intention de te dédier ce petit livre qui n’est en rien » exceptionnel « . Je n’ai jamais dédié mes livres à personne [etc.]
Papini serait-il un Diogène vivant de peu ? Un vrai cynique ? Un lucide déplorable ? Réponse, selon la notice du Larousse :
» Écrivain italien (Florence 1881 – id. 1956). Fondateur de nombreuses revues parmi lesquelles Leonardo, Lacerba et Rinascita, au centre de la culture futuriste, c’est dans l’autobiographie (Un homme fini, 1912 ; Récits de jeunesse, 1943) et la poésie (Jours de fête, 1918 ; Pain et vin, 1926) que sa philosophie d’autodidacte visionnaire et tourmenté s’exprime avec le plus d’originalité (le Crépuscule des philosophes, 1936). »
Plus nettement, l’Encyclopaedia Britannica, écrit de Papini : » l’une des figures littéraires les plus iconoclastes et les plus controversées du début et du milieu de XXe siècle. »
Dans la bibliographie, on trouve des références qui qualifient d’une part son » expérience futuriste » (1913-1914), d’autre part son » odyssée intellectuelle entre Dieu et Satan « , selon le titre d’une biographie de Lovreglio Janvier.
Et pour confirmer le goût délicieusement nauséeux de l’incipit de La Vie de Personne, le héros de l’un de ses romans, Gog, semble conforme : « Elle ne te paraît pas misérable cette vie, et petit ce monde ? » Pour faire passer son ennui, Gog, homme riche et excentrique, n’hésite pas à acheter un pays, créer des temples, monter une entreprise de poésie, collectionner des géants, des sosies, des squelettes, des cœurs d‘animaux vivants… résume Tatiana sur son blog.
Pour Le Matricule des Anges : » Se déploie sous la plume de Papini une vision cynique, agressive et parfois paranoïaque de la réalité sociale et culturelle qui confine souvent à la prophétie. Il faut rappeler que le roman fut traduit en 1932 chez Flammarion dans une version curieusement tronquée de cinq chapitres éloquents, rétablis ici soit avant la Seconde Guerre mondiale et le rugissement industriel, boursier et » libéral » du dernier demi-siècle. Le chapitre » Pédocratie » est à ce titre éloquent : Papini y dévoile peu ou prou le jeunisme à venir, le culte de la nouveauté, la » monétisation » des rapports entre classes d’âge, l’obsession de la vitesse et de l’instantanéité, etc. «

Les 47 pages de La Vie de Personne ne démentent pas le profil tourmenté de Papini.
Nul autre que lui, semble-t-il, n’aurait pu décrire avec tant de désepérance le point de vue radical d’un foetus sur sa naissance et sa trajectoire toute tendue vers la mort (p.42) :
» L’homme naît prisonnier dans le ventre maternel ; et il en sort en pleurant, et à peine l’enfance heureuse touche-t-elle à sa fin qu’il redevient prisonnier des lois et des jugements de ses compagnons de servitude ; seul le génie reconquiert au prix du sang et des larmes une douloureuse arrhe de liberté -et à la fin la Mort, qui emprisonne de nouveau le corps entre quatre planches, nous promet l’évasion définitive dans le néant. Chacun de nos efforts, chacune de nos peines réussit à passer d’une cellule à une autre, et c’est dans ces passages que nous respirons assez de ciels pour supporter les hivers infinis de la solitide sans porte de sortie. »
A la suite de Pierre Bayard, pensant à l’extrême lucidité de Cioran, voire à son nihilisme ontologique, on pourrait évoquer à l’aune de son dernier essai, aux éditions de Minuit, un » plagiat par anticipation « .
Encore cet extrait sur la vertu du silence (p.14) : » Le parler au moyen de paroles avec les autres hommes n’est qu’un cas particulier – même s’il est fréquent – de notre bavardage infini. »
On préfère cette notation : » Le souvenir, dans le monde, est tout. Le souvenir est la poésie, le souvenir est l’histoire, le souvenir est le bonheur – spécialement le bonheur. »
[pour la photo de couverture cf. le site de Richard Vantielcke]

Bonjour papalagui,
Merci pour le lien vers mon travail.
et bonne continuation.
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