Renversant, le devisement du monde selon Marc de Gouvenain

Marc de Gouvenain est un marcheur au long cours. On savait qu’il avait connu, visité, revisité, vécu en Ethiopie, au Yemen, en Suède. Pays dont il traduit des écrivains. Pensez le suédois… c’est pas courant. Ainsi Stieg Larsson, auteur de la trilogie Millénium, qu’il a aussi édité pour Actes Sud.

Un million de lecteurs français en sont les victimes consentantes.Bref, Marc a imprimé sa marque de touche à tout sur quelques territoires du monde ou de l’édition (domaine scandinave, collection Antipodes avec Alexis Wright ou Alan Duff, quelle étoffe, celle des guerriers !).

Donc, il nous donne rendez-vous du côté de Saint-Rémy-de-Provence. A la sortie, on vérifie que Van Gogh est passé par là. En témoigne (ci-dessus) la reproduction d’un tableau sur le bord de la route. Le Rocher des Deux Trous (ci-dessous) présente un beau découpage du ciel des Alpilles. Les Alpilles, ça émoustille les papilles et la curiosité du piéton amateur.

 

Quand il accompagne, il sait marcher à la mesure de son entourage. Il sait aussi rester assis à regarder un paysage. C’est son côté contemplatif. Il a beau avoir quadrillé la Terre, il contemple aussi le mont Gaussier. Belle vue sur la vallée, une profondeur de champ, une hauteur de vue, en contrebas Saint-Rémy, son clocher, etc.

Nous mènerait-il en balade ?

Et puis, ce marcheur au long cours quand il a trop parcouru, ou plutôt quand il sent bien le paysage, ses insectes alentour, une atmosphère, que la piste a une présence, que les bois ont quelque chose… il s’arrête net. Net comme une balle stoppée net. Il fait volte-face et apprécie le paysage qu’il a laissé derrière lui, sur cette longue trace de marcheur. Il donne au paysage l’impression que c’est le paysage qui l’observe. Cette façon de se retourner sur ses pas, c’est un peu une façon de considérer le paysage, son influence directe, partout.

Un lien le tient au paysage

 

Quand on lira son Témoin des Salomon, publié Au Vent des îles, éditions polynésiennes de réputation [Papalagui,10/09/07 et 26/08/07 ] on devra admettre qu’il est lié aux paysages. Il le savoure. Il sait trouver son chemin à l’instinct, tel l’animal dans la sente. Ainsi à décrire les Barbares, les gens d’Attila que son héroïne (Francine) aime fréquenter (p. 48) :

 » Des stèles comme de gros ongles de grès presque noirs, rongés par le temps, gravées de bandes sinueuses, de cercles, de points, parfois de figurations humaines ou animales. Là une tête d’homme, une main, la ramure d’un cerf, le groin d’un sanglier. Ces sont les pierres des morts, les autels du vent. Quand sur cette plaine souffle la tempête, l’air n’est plus qu’un brouhaha de couinements et d’appels, de brames et de chants louant les troupeaux de doux mufles à crinières. Puis la pluie vient, elle n’est jamais bien loin, et lave tous ces dialogues pour en nourrir herbe et rivières, ces rivières insaisissables qui un jour atteignent le plan des hommes, et ainsi la nuit murmurent quand elles se croient seules. « 

 » L’œil à l’envers « 

Arrivés au Rocher des Deux Trous, Marc s’approche du précipice et se couche sur le dos, la tête dépasse dans le vide à se guillotiner les cervicales. Et ce qui arrive alors est saisissant. Il l’a même écrit p 205-206. Francine passe une semaine en Hongrie. On lit :

 » Le monticule de Sarosvalak, à mi-parcours environ, et que certains disent être un gigantesque tumulus, l’endroit peut-être sous lequel serait enterré Attila, fut un de ces endroits où, sur un rocher du sommet, je m’allongeai pour renverser la tête et contempler différemment le paysage; une véritable technique que, bien longtemps auparavant, ‘avais découverte, allongée pour une sieste sur un muret et que j’avais depuis lors baptisée  » l’œil à l’envers « . Dans la vie courante, celle où l’on se déplace en bipède évolué, les deux pieds par terre et la tête en l’air, l’oeil capte en effet un paysage essentiellement fait de terre. La ligne d’horizon est très haute dans le champ visuel et le ciel au-dessus n’occupe en bande qu’un quart de l’image, auquel on s’attache pe. Mais quand je l’allongeais, confortablement si possible, afin de basculer la tête en arrière comme chez le coiffeur, la proportion était inversée : l’image devenait aux trois quarts ciel (…) Je voyais avec netteté, mais ce que je voyais était autre. Cela devenait un monde proche de celui que peignit Altdorfer autour de la bataille d’Alexandre, un monde d’air et d’immensité. « 

 

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Dans ce tableau, le regard se perd et les ciels nous écrasent, nous simples mortels. En revanche, à suivre la méthode de Marc de Gouvenain (sur le dos, la tête en bas), le paysage nous est redistribué, redonné. C’est comme une seconde chance de mieux le voir. Une manière proprement renversante. Et c’est là que Le Témoin des Salomon nous enchante. Pas dans le style. La phrase ne surprend pas, alors que le tissage des récits est proprement vertigineux. Cette coexistence d’une phrase simple – certains pourraient dire scolaire – et d’une imbrication des récits en fait un livre très singulier et captivant. Marc de Gouvenain opère un renversement, pas seulement de perspective, mais du monde. Tel un Marco Polo des temps modernes, l’écrivain procède à son devisement du monde par un renversement de perspectives.

 

 

Le Témoin des Salomon décrit la fin d’une quête : Francine raconte Frédéric son ancien amant, au fil des témoins qui la font bifurquer à la surface de la Terre.

Extrait p. 15 :  » L’histoire que maintenant je commence à raconter est celle d’un naufrage. Le mien. Celui d’une femme seule dans une chambre d’hôtel, sur une île à l’autre bout du monde, aux antipodes, région dont les habitants sont censés évolués la tête en bas. Je m’appelle Deux-Yeux quand je pense à lui, à l’homme qui m’a donné ce surnom il y a très longtemps. « 

Alors le puzzle des récits se distribue : il y a le temps des voyages de Frédéric, le temps du voyage de Francine aux Salomon, l etemps du récit parisienet européen de Francine, le temps du récit des Huns imginé par Francine, le journal de Francine imaginé par le  » Témoin des Salomon « .

Extrait p. 90 :  » Mais pourquoi donc étais-je venue dans ce lointain du monde ? « 

p. 92 : Solomon Airlines… Solomon… Seule au monde !

p. 101 :  » Il existe toujours un ailleurs possible « 

p. 107 :  » mon cher et fidèle univers mental « 

p. 129 :  » Frédéric oui. Je lui est dit que parcourir le monde était ce qu’il pouvait faire de plus beau pour moi. « 

 

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