Nicolas Kurtovitch, chronique (2)

Le dimanche, un écrivain calédonien, en résidence en Nouvelle-Zélande, nous livre sa chronique.

Aujourd’hui dimanche 25 Novembre, c’est, à Wellington mais je suppose dans toute la Nouvelle Zélande, la journée consacrée au port d’une petite boucle de tissu blanc, sur soi. Le sens donné à cette boucle est : « Montrez que vous êtes contre la violence envers les femmes ». (Il est entendu qu’il s’agit avant tout de violences physiques.) Certes on peut rétorquer à cette initiative qu’un morceau de tissu blanc affiché au vu et au su de tout le monde n’empêchera pas la violence physique contre les femmes, non, mais tout de même, cette action me semble très utile. Il s’agit d’une prise de position individuelle rendue publique. Elle contraint tous les hommes qui croisent l’affiche annonçant cette journée et proposant le port de ce ruban, à se poser la question : « Et moi, suis-je contre la violence envers les femmes, suis-je prêt à me mobiliser, ne serait-ce qu’une journée, enfin est-ce-que j’exerce une quelconque violence envers les femmes ? » Se poser la question c’est s’obliger à y répondre, ne serait-ce que pour cela, cette initiative vaut le coup.

Depuis vingt ans, un peu plus même, chaque année, un écrivain néo zélandais se rend dans la ville de Menton. Il y reste six mois en résidence, son lieu de travail est la maison où résidait Katherine Mansfield au tout début des années 20 (elle y resta jusqu’à quelques mois avant de mourir en janvier 1923), le nom de la maison est « Villa Isola Bella ». Mardi dernier, le nom de l’écrivain retenu, vainqueur d’une « compétition » assez intense ici, a été annoncé lors d’un pot réunissant bon nombre d’écrivains dont plusieurs anciens résidents de Menton, ainsi que l’Ambassadeur de France, partie prenante dans la « Résidence de Menton ». Adrian Wilkins est l’heureux vainqueur, il partira au mois de mars, il était heureux, sa famille aussi, ému il remercia le principal sponsor, en fait celui qui règle la facture : voyage, indemnité mensuelle qui vient justement d’être doublée par ce tout nouveau sponsor, à savoir la poste de Nouvelle Zélande. Le discours du « postier » m’a beaucoup plu, intense, vif, expressif, il dit les choses importantes, le besoin de créateurs dans son pays, le besoin d’écrivains, d’artistes qui ne se contentent pas de chanter le beau temps et le bonheur d’être Néo Zélandais. Il dit qu’il veut des écrivains levant le voile sur le monde réel, des écrivains qui parlent vrai, avec leur cœur et leur esprit. Plus tard j’ai discuté deux minutes avec cet homme, je lui ai demandé d’envoyer un petit mot à son collègue, patron de la poste en Nouvelle Calédonie, pour l’inciter à prendre le même chemin à la rencontre des écrivains calédoniens. Sera-t-il entendu ? C’est à espérer car Dieu sait que nous avons besoin de soutiens et d’aides concrètes ; l’argent public est seul à pouvoir remplacer le mécénat, des mécènes qui n’ont jamais existé en Nouvelle Calédonie, ils ont raté leur époque, il faut espérer que les pouvoirs publics ne rateront pas la leur, qui est maintenant.

Je repense à Katherine Mansfield, sans pensées particulières, simplement de la sympathie envers cette jeune femme, morte trop tôt, soutenue par son père, aimée aujourd’hui de tout un pays. Je ne réside pas bien loin de sa maison natale en ce moment, dans un quartier dont les maisons, beaucoup d’entres elles, sont de son époque. Les voies de communication ont bouleversé le paysage mais avec un peu d’imagination je peux facilement me figurer les allées et venues de cette famille nombreuse dans les rues de Thorndon, son quartier. Je retournerai visiter cette maison avant de partir, saluer sa mémoire, apprécier davantage encore ses remarquables nouvelles.

[Le 17 décembre 1999, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé le 25 novembre Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, et a invité les gouvernements, les organisations internationales et les organisations non gouvernementales à organiser ce jour-là des activités conçues pour sensibiliser l’opinion au problème. Voir le site officiel.]

A lire également sur le site de Nicolas Kurtovitch, les notes de son journal de résidence, notamment l’épisode n°9 consacré à la visite du musée Te Papa. Nous en avions parlé lors de la restitution annoncée d’une tête maorie par le musée de Rouen, restitution pour l’instant suspendue et non encore jugée [Papalagui, 28/10/07 et 23/10/07 ].

Extrait par l’auteur du Piéton du Dharma :

Qu’avons-nous apporté, retiré, enlevé, transformé, détruit, modifié, bouleversé, qu’avons-nous élevé, rabaissé, ignoré, imposé ? Ce que propose le Te papa à son étage Maori révèle qu’ils n’avaient rien à envier à cet autre monde venu les conquérir. J’ai vu les formidables navires qui ont permis les traversées trans-pacifiques, -on le sait maintenant- en « aller et retour », certitude fondamentale car elle enlève tout idée de rupture à l’intérieur du triangle polynésien, après les découvertes des îles et archipels, les contacts ont continués avec les îles d’origines, Tonga, Wallis, Samoa, par exemple.

J’y ai vu les maisons, les greniers, les manteaux, les bijoux, les armes. J’y ai vu tout ce qui en Europe faisait culture et civilisation, une conception du monde, du ciel, du cosmos, de Dieu, de la bonté, de l’amour, du politique, de la famille. J’y ai vu aussi le visage et entendu le nom, de chaque soldat maori –mais aussi le nom et le visage de ceux originaires des îles Cook- parti à la Première et ceux partis à la Seconde Guerre mondiale. Les yeux disent la jeunesse, l’étonnement, l’effroi, certains ont le sourire, l’aventure, l’incrédulité aussi : « que va-t-il nous arriver, là-bas, si loin, chez eux, les blancs, les vainqueurs des guerres coloniales, qu’elles sont leurs guerres, leurs combats ? ». Ces yeux devant le photographe, aujourd’hui devant moi, me posent la question : « Qu’avez-vous fait » ?

 

 

 

Laisser un commentaire