le Haka c’est fini, vive le Tingo ! (concassage de cocasseries)

Et si les mots, plus encore que la culture, étaient les véritables viatiques – dernier refuge exotique – des peuples de l’eau, des archipels, du Pacifique et des contrées ultrapériphériques ? confins d’où nous est venu le hakaLe Tingo va-t-il lui succéder ? Il faut dire qu’il a droit de figurer en titre d’un livre dans l’édition anglaise d’abord, aujourd’hui dans sa traduction française, lui modeste mot rapa nui, c’est-à-dire de l’île de Pâques, dans : Tingo, drôles de mots, drôles de mondes, de Adam Jacot de Boinod (éditions 10/18, traduction Jean-Baptiste Dupin).

Encore un mot sur le haka, au jour J pour d’un match de rugby entre la France et l’Angleterre. A l’échelle du monde, c’est un derby, mot anglais pour désigner une rencontre sportive entre voisins. Elle ferait presque oublier le haka des All Blacks, qui n’a pas effrayé les Français et le haka des Samoans, assez terrible aussi, mais qui n’a pas plus bouté l’Anglais hors de la compétition.

On a tout dit, croit-on, sur le haka, ses variantes, son inspiration mythologique. On a peu parlé de cette voix maorie, donc polynésienne, cri de guerre tribal, fierté haranguée par ces sportifs, considérés chez eux comme les véritables ambassadeurs d’une mozaïque de peuples qui constituent la Nouvelle-Zélande, aux origines européenne, maorie, samaone, tongienne, etc. On les a vu chanter en langue autochtone, quelle que soit leur couleur de peau.

Exit le haka donc, qui nous a ouvert un monde. Tingo peut nous en ouvrir un autre…

 

L’édition française met à l’honneur, la langue de l’île de Pâques avec ce titre : Tingo, drôles de mots, drôles de mondes. C’est un petit livre qui tombe à point pour nous faire rebondir dans les sons et sens du monde. Publié en français le 18/10 par les éditions… 10/18 (ce qui est assez cocasse), il a été écrit dans sa version d’origine en anglais par Adam Jacot de Boinod. En anglais, ou plutôt en 150 langues… qu’il a visitées pour nous proposer des cocasseries inédites, au sens propre jamais éditées.

Le mot titre, Tingo, est un mot rapa nui (langue polynésienne de l’île de Pâques) pour dire  » emprunter des objets dans la maison d’un ami, un par un, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien chez lui « . Adam Jacot de Boinod est un collectionneur de mots insolites, dont la briéveté masque une définition étrange, à l’instar de Tingo, et qui révèlent une culture, aux mœurs véritablement étranges.

Ce n’est pas tout à fait un… guide de conversation… plutôt un dictionnaire inutile mais scintillant, genre livre de listes, grand concassage de cocasseries, à la mode des Miscellanées de Mr. Schott, livre de listes insolites, succès des librairies il y a tout juste deux ans, avec près de deux cent mille exemplaires vendus…

Tingo, drôles de mots, drôles de mondes, reprend une reliure similaire, avec jaquette, petits paragraphes et listes à profusion, c’est-à-dire à donner le vertige.

On peut douter de ce qui affirmé d’emblée :  » Saviez-vous que parmi les milliers de langues africaines, il n’existe pas de mots pour dire art ?  » Et préférer les balbutiements pour nommer dans notre société les arts premiers, primitifs, aborigènes, nègres, etc.

Ça commence à devenir (moyennement) intéressant quand on lit p. 31 que les Albanais disposent de 27 mots pour dire moustache. On n’aimerait pas être imberbe au pays du Général de l’armée morte.

Le Général de l'armée morte

Jouant à saute-culture comme au irait à saute-mouton, le lecteur passe de l’Albanie au Grand Nord, et pense alors à ces envolées lyriques sur les Esquimaux et leur ribambelle de mots pour dire et décrire la neige (à ce propos voir le site http://www.charlatans.info/esquineige.shtml). On est comblé, lorsque l’on tombe sur le chapitre La pluie et le beau temps. L’addition des mots inuits (du Canada, d’Alaska, du Groenland ou de Sibérie) est salée. Pas moins de deux pages ! Ne pas s’arrêter à qaniit :  » la neige en suspension dans l’air lorsqu’elle tombe « . Détailler Ariloqaq, qui n’est pas mal :  » une neige légère, qui vient de tomber, inutilisable telle quelle mais qui pourra fournir un bon matériau de construction une fois tassée « . Devenir poète avec qali :  » la neige sur les branches des arbres « .

Cette promenade dans les mots du monde et les drôles de mots est donc un guide culturel, où défile la planète mot à mot.

L’auteur britannique Adam Jacot de Boinod fait suivre les variantes de neige par les brumes écossaises et leurs variations infinies, auxquelles seule l’âme d’un poète pourrait survivre. On en ressort complètement drookit (trempé jusqu’aux os)…

Aux couleurs de la neige, aux métaphores de la brume, l’auteur nous convie aux lexiques sans nuance. En dano de Papouasie-Nouvelle-Guinée, les choses sont soit mili (foncées), soit mola (claires). Mais l’archipel peut se consoler avec le record des langues parlées (plus de 850). Alors que l’Europe est de très loin la région du monde la moins diverse linguistiquement (moins de 3% des langues du monde).

On peut regretter l’absence des mots créoles et des nombreuses langues de France, du corse au futunien, du breton à l’ajië de Calédonie, de l’alsacien au paliku guyanais…

Des mots à glaner ouvrent d’autres mystères. Les traductions françaises constituant à elle seules la réussite de ce livres des merveilles :

Un explorateur de la Lune, en estonien : kuuuurija ; parler avec deux langues [mentir] en japonais : nimaijita o tsukau ; être très jeune et pourtant déjà un cas désespéré, en maori des îles Cook : varevare.

J’ai un faible pour kalincak-kelincok, mot balinais d’Indonésie, pays aux 670 langues : le son du va-et-vient d’un objet flottant à la dérive…

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