
Inépuisable le dernier Chamoiseau, livre-gouffre-sans-fond d’émotions et de mots. Le lecteur est pris au piège d’Un Dimanche au cachot (Gallimard). Dans un cachot c’est la mort, le repli, la fermeture, alors que cette littérature dévide son surplus de mots, charroie son immensité d’horizon. De ce cachot, Chamoiseau en fait une bombe à retardement littéraire. Ce cachot est un trou noir, où une énorme énergie s’effondre sur elle-même.
Avec Un Dimanche au cachot, Chamoiseau tente de raconter l’irracontable. La violence d’aujourd’hui convoque l’histoire de l’esclavage. Des vestiges d’aujourd’hui rappellent un quartier de haute sécurité de droit féodal. On ne verrait pas bien quoi en faire. Chamoiseau si. Une improbable matière littéraire ?
Argument…
» Un dimanche de pluie, une petite chabine se réfugie sous une voûte de pierre, dans le jardin du foyer qui l’a recueillie, sur le site d’une ancienne sucrière. Terrassée par une souffrance indépassable, Caroline reste prostrée dans l’ombre, fixant l’obscur des pierres pour les déchiffrer. Pour renouer le contact avec elle, l’institution sollicite alors Patrick Chamoiseau, écrivain, Marqueur de paroles, mais surtout éducateur en matière de justice. »
Ce serait un roman historique ? Non, très contemporain même. Qu’on en juge : son ami Sylvain, éducateur à la Sainte Famille, dans le nord de la Martinique, appelle Chamoiseau. C’est un dimanche, jour où l’écrivain ne fait rien, ni comme éducateur, qu’il est dans le civil, ni dans les divers rôles que lui assigne la société. Non, le dimanche est informe comme informe est l’écrivain sur sa chaise d’écriture, nous dit-il.
Il se trouve qu’une de ses pensionnaires, la dénommée Caroline s’est réfugiée dans les vestiges d’un obscur cachot dont elle ne sort plus. Avec son histoire familiale où se sont succédé viols et violences, elle est dans un état d’autisme, un mot qui n’est pas écrit d’ailleurs dans ce roman où les mots sont comme cascades, étoiles filantes, nébuleuses, feux d’artifices, immenses cataractes de sens et d’émotions. On se dit qu’autour de soi les lecteurs ont dû lâcher prise, tellement on implose dans ce cachot, on se rétracte en soi, en s’immole par l’intérieur, on s’inglutit (au risque du néologisme en écho au texte d’auteur). Caroline s’implose au dedans. L’écrivain convoqué lui invente une histoire, puis l’Histoire, certes romanesque. L’Oubliée revient. Il l’a fait revivre dans cette habitation démoniaque où règne le Maître.
Caroline recluse dans une ruine, L’Oubliée son double en Histoire.
Le cachot de l’Habitation, ferme de la plantation esclavagiste, l’obscur où est recluse l’Oubliée, personnage clé de son précédent roman, Biblique des derniers gestes, publié en 2002. 
L’argument de Dimanche au cachot… suite :
» Mais tandis qu’il vient au secours de l’enfant, l’éducateur devine ce qu’elle ignore : cette voûte ténébreuse n’est autre que le plus effrayant des vestiges. C’est un cachot dont les parois balisent une ténébreuse mémoire, qui dérive loin dans les impensables de l’Histoire, dans l’intransmissible de l’esclavage, ce crime sans châtiment. Dans la beauté du lieu, sous l’éclat de la pluie, je perçois le terrible palimpseste… «
Ce livre est inépuisable. Il nous épuise, nous simples lecteurs, simples mortels. Il nous digère, nous inclut, nous intègre en son for, là au coeur de ce trou noir où est tombée la lumière, disparue, apesantie de ses milliers de flammes.
Si Biblique était un livre à l’ambition démesurée, que sera ce Dimanche au cachot, sinon son complément en Histoire incréée, dans ce point focal, ce lieu unique, où l’histoire bouillonne, et brouillonne l’humanité tout alentour.
Prolongements :
A lire le précédent texte de Chamoiseau, la préface de La prison vue de l’intérieur (Albin Michel) où il dit la » poésie secrète d’une curieuse entité « ou, publié en 1994, Guyane, traces-mémoires du bagne (photos Rodolphe Hammadi), et l’analyse de Véronique Larose à ce propos : http://www.potomitan.info/atelier/pawol/prison.php.
» La poésie secrète d’une curieuse entité « , car là aussi, Un Dimanche au cachot comme Les murs tombent laissent le mot de la fin à la… beauté.
