What kind of beast would turn its life into words?
What atonement is this all about?
– and yet, writing words like these, I’m also living.
Is all this close to the wolverines’ howled signals,
that modulated cantata of the wild?
or, when away from you I try to create you in words,
am I simply using you, like a river or a war?
And how have I used rivers, how have I used wars
to escape writing of the worst thing of all –
not the crimes of others, not even our own death,
but the failure to want our freedom passionately enough
so that blighted elms, sick rivers, massacres would seem
mere emblems of that desecration of ourselves?

Traduction française
Quel genre de bête transformerait sa vie en mots ?
De quelle expiation s’agit-il ?
– et pourtant, quand j’écris des mots comme ceux-là, je vis aussi.
Tout ça a-t-il à voir avec le signal crié des carcajous,
cette cantate modulée de la nature ?
ou, quand loin de toi j’essaie de te recréer en mots,
est-ce que je t’utilise simplement, comme une rivière ou une guerre ?
Et comment ai-je utilisé les rivières, comment ai-je utilisé les guerres
pour éviter d’écrire sur la pire chose au monde –
non pas les crimes des autres, ni même notre propre mort,
mais notre incapacité à vouloir notre liberté avec suffisamment de passion
pour que les ormes contaminés, les rivières malades, les massacres
semblent
de simples emblèmes de cette profanation de nous-mêmes ?
Adrienne Rich, Le Rêve étrange d’un langage commun, The Dream of a Common Language, édition bilingue, traduit de l’anglais par Shira Abramovich et Lénaïg Cariou, coll. Des écrits pour la parole, édition de L’Arche, décembre 2024.
Extrait de la 4e de couv. :
« Poétesse, activiste, essayiste et enseignante, Adrienne Rich (1929- 2012) est une figure tutélaire de la poésie états-unienne. Ses écrits, dont son essai « La contrainte à l’hétérosexualité et l’existence lesbienne », ont marqué le féminisme de son époque. En 1974, elle reçut le National Book Award qu’elle accepta à condition de le partager avec Audre Lorde et Alice Walker, « au nom de toutes les femmes » ; en 1997, elle refusa la National Medal for the Arts pour marquer son opposition à la politique du président Bill Clinton : l’art, dit-elle alors, « ne veut rien dire s’il ne sert qu’à décorer la table du pouvoir qui le tient en otage ».
Lénaïg Cariou, l’une des deux traductrices est l’invitée de l’émission de France Culture « La poésie d’Adrienne Rich, en vers et contre tous « .
D’après The New Yorker, « elle avait toujours une longueur d’avance » (« The Long Awakening of Adrienne Rich », The New Yorker, 23/12/2020).
