En atelier de calligraphie, le moment le plus intéressant est le moment du silence.
Le but de l’atelier est d’initier et au mieux de faire sien un kanji choisi. Il a été choisi par l’élève pour diverses raisons. Prenons par exemple le duo de kanji formé par 書道 (shodō), soit « la voie de l’écriture », autrement dit la « calligraphie ». Simplement parce qu’il est jugé « beau » ou qu’il correspond à votre humeur du moment.

Vous avez commencé par examiner les modèles proposés par le sensei ou maître, ici Miki_la_calligraphe. Des styles classés par chronologie. Certains ont une allure de caractère d’imprimerie, d’autres, très cursifs, peu reconnaissables, même par un lecteur japonais. Dans ces caractères, le geste semble une danse sur le papier ou le tracé d’une danse, bien éloigné de la symétrie apparente des autres styles.
Et quand vous l’avez choisi, vous vous appliquez. Inutile de dire que vous répétez le geste jusqu’à la maîtrise complète. Ce n’est absolument pas ça. Il ne s’agit pas d’imiter un geste parfait et de reproduire un geste parfait. D’abord c’est impossible, ensuite ce n’est pas souhaitable.
équilibre
Le but est de faire sien le caractère. Quand vous réalisez un tracé, vous le montrez au calligraphe-sensei. Et son œil fait mouche. Le diagnostic est sans appel : geste pas assez anguleux ou dans la mauvaise direction, lever du pinceau trop tardif et surtout l’équilibre des formes internes au kanji n’est pas assuré, avec des traits trop courts ou trop longs, disproportionnés, ou à la direction incertaine, vers le bas quand ils devraient aller vers le haut ou mieux parcourir son espace en une courbe légère.

Dans 書道 (shodō) par exemple, le premier kanji, 書 (sho) présente un trait horizontal dans sa partie supérieure plus long que les autres. Il sert véritablement de stabilisateur à l’ensemble un peu comme un fildeferiste en plein exercice au-dessus du vide tenant sa perche comme si c’était une plume, mais il lui doit aussi sa survie. Dans le second caractère 道 (dō), l’équilibre doit se réaliser entre une forme apparemment symétrique, dessinée en premier, et une forme avec un enroulé à la base du caractère.
méditation
Alors s’impose le silence.
C’est un moment qui vient sans prévenir. Jusqu’alors la pression du pinceau sur le papier, la juste application de la touffe de poils de belette 鼬 (itachi), à moins qu’elle ne soit de marte, la tenue du manche, bien droite, l’inclinaison du pinceau, la longueur des traits, leur proportion, l’alternance des traits longs et courts, l’apparence générale d’équilibre – la calligraphie est une recherche constante de l’équilibre, ici des dix plus douze, soit vingt-deux traits, la graduelle progression du tracé de l’encre de haut en bas du papier 紙 (kami), la pression du pinceau dans la courbe à angle droit de certains traits, finalement l’équilibre général de l’ensemble 書道 (shodō), composé des parties suivantes : 聿 (ichi : brosse) + 日 (nichi : jour, soleil) + 首 (dju : cou) + 自 (ji : soi) + 込 (komu : bondé) + 并 (hei : mettre ensemble), et que cet équilibre tienne comme celui d’un ensemble de pièces d’horlogerie empilées, distribuées, agencées, tracées en harmonie dynamique.

Dans cette exécution vous avez senti ce moment de silence, où toute l’attention, toutes les attentions au détail essayaient de composer une harmonie. La calligraphie est un art de la méditation.
Dans ce moment suspendu règne le silence sous l’effet du souffle distribué dans la main et son pinceau. Dans cette suspension du temps fait de silence, équilibre et harmonie, peut-être avez atteint une étape sur la voie ?
