[Lors des préparatifs d’un voyage, je surfe sur la vague d’Hokusai et sur cette parole superbe : « Quand j’atteindrai 110 ans, je poserai un point – un seul – sur une toile blanche, et ce point sera vivant. »]
Une parole à placer dans son contexte, ainsi que l’avait écrit l’artiste : « Depuis l’âge de six ans, j’avais la manie de dessiner les formes des objets. Vers l’âge de cinquante, j’ai publié une infinité de dessins ; mais je suis mécontent de tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante-dix ans.

[Hokusai. Autoportrait à l’âge de 83 ans, 1843, Leiden, Rijksmuseum Voor Volkenkunde.]
C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la forme et la nature vraie des oiseaux, des poissons, des plantes, etc. Par conséquent, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait beaucoup de progrès, j’arriverai au fond des choses ; à cent, je serai décidément parvenu à un état supérieur, indéfinissable, et à l’âge de cent-dix, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant.

Je demande à ceux qui vivront autant que moi de voir si je tiens parole. Écrit, à l’âge de soixante-quinze ans, par moi, autrefois Hokusai, aujourd’hui Gakyo Rojin, le vieillard fou de dessin. » (Katsushika Hokusai, Postface aux Cent vues du mont Fuji, 1831-1833).
[Les Cent vues du mont Fuji (Fugaku-hyakkei) est une série d’estampes réalisées par Katsushika Hokusai (1760-1849), alors âgé de 74 ans, et dont les dates d’édition s’étendent entre 1834 et 18401. Ce livre illustré (E-hon (絵本) fait suite à la célèbre série des Trente-six Vues du mont Fuji (Fugaku-sanjûrokkei), publiée entre 1830-31 et 1833. Source : Wikipedia.]
Parmi les Trente-six vues du Mont Fuji, « La Grande Vague de Kanagawa » (1830-1832) de Hokusai est une des images les plus reproduites de l’histoire de l’art. Une image passe-partout. Plusieurs musées en conservent un exemplaire original, tel le musée Guimet à Paris, le British Museum et le Metropolitan Museum of Art de New York.

Dans ce grand magasin parisien, le rayon papeterie et images présente une reproduction géante de La Grande Vague comme objet iconique.
La marque qui l’utilise dans ce rayon de reproduction d’estampes japonaises, One Art, a pour slogan publicitaire « Emotion dealer », dont la traduction française serait « Revendeur d’émotion », ce qui est significatif a plus d’un titre.
En français le mot « dealer » est souvent associé à un trafic occulte. Ici le dealer d’émotion s’affiche (oui !) au grand jour. Plus même : il joue avec une image iconique, vecteur d’émotion universelle.
Il serait intéressant de demander à Gilles Lipovetsky et Jean Serroy ce qu’ils en pensent. Auteurs de L’esthétisation du monde, « Vivre à l’âge du capitalisme artiste » (Gallimard, 2013, Folio, 2016), ils soutiennent que « le style, la beauté, la mobilisation des goûts et des sensibilités s’imposent chaque jour davantage comme des impératifs stratégiques des marques : le capitalisme d’hyperconsommation est un mode de production esthétique (…)

Partout le réel se construit comme une image en y intégrant une dimension esthétique-émotionnelle devenue centrale dans la compétition que ce livrent les marques.
Tel est le capitalisme artiste, lequel se caractérise par le poids grandissant des marchés de la sensibilité, par un travail systématique de stylisation des biens et des lieux marchands, par l’intégration généralisée de l’art, du « look » et de l’affect dans l’univers consumériste. »
Gilles Lipovetsky, philosophe (80 ans, ce 24 septembre) et Jean Serroy, essayistes, professeurs de français émérites, sont aussi les auteurs de L’Ecran global (Seuil, 2007).
