[Lors des préparatifs d’un voyage, je tombe sur… un mot de japonais qui m’émerveille : komorebi.]
Il est des mots japonais qui définissent un monde, voire une vision du monde. Leur seule évocation entraîne une nébuleuse de sensations et d’émotions.
Parmi ceux qui ont marqué l’époque depuis la fin de l’année 2023, date de sortie du film de Wim Wenders, Perfect Days, citons komorebi 木漏れ日. Ainsi est nommée « la lumière du soleil filtrant à travers les arbres ». Dans le film, le héros, Hirayama (interprété par Kôji Yakusho) s’émerveille du miroitement de la lumière dans les feuillages, au sortir de chez lui, le matin quand il se rend à son travail de nettoyeur de toilettes publiques, ou dans un parc de la ville de Tokyo, lors de la pause déjeuner. Quelquefois il accompagne ce regard vers les hauteurs d’une photo qu’il prend avec son appareil de poche.

[Pause déjeuner dans un parc de la capitale nippone. Image extraite de Perfect Days.]
Le film nous fait ressentir ce que vit son personnage, quand il se réveille au son du balayeur des rues, quand il sent l’aube percée comme une caresse et quand il éprouve la sensation d’être à la naissance du jour, naissance d’un monde, en sortant de chez lui, le nez en l’air dans la contemplation de ce miroitement komorebi. Autant de moments éphémères que Hirayama ressent dans une joie calme. Nous faire apprécier l’éphémère et le moment présent, dans une ville de plusieurs dizaines de millions d’habitants, telle est la vertu du film. Le réalisateur a placé sa définition après le générique de fin : « KOMOREBI » est le mot japonais pour le miroitement de la lumière et des ombres, qui est créé par les feuilles se balançant dans le vent. Il n’existe qu’une fois, à ce moment-là. »
Cette précision ajoutée à la définition, façon commentaire, souligne l’orientation du film : Perfect days fait miroiter l’instant présent, dans son éphémère, dans son impermanence, pour reprendre une notion clé de l’esprit du bouddhisme zen. L’instant présent, qu’il soit dans ce komorebi, dans un sourire, dans une chanson de Lou Reed, écoutée sur une vieille cassette. Dans un haïku, bien entendu.
Komorebi est un mot d’usage courant au Japon, et c’est un mot qui éclaire l’âme du Japon. On le sent à écouter Fumi, youtubeuse en langue japonaise, qui l’a utilisé lors d’une randonnée en forêt, incrusté dans l’image :

[Capture écran de la chaîne YouTube Speak Japanese Naturally]
Komorebi est un mot formé de trois kanji : 木, ko pour l’arbre, 漏 mo pour « fuite, évasion, temps », la syllabe れ re, et enfin le kanji 日 bi, qui désigne ici à la fois le jour et le soleil, selon le dictionnaire jisho.org.
Bon à savoir : près d’un an après sa sortie, le film est toujours à l’affiche dans les salles de cinéma.
