Japon 道 1. La voie d’Amélie Nothomb

[Lors des préparatifs d’un voyage, je tombe sur… un roman de la rentrée littéraire d’automne, parmi 459.]

Avec L’impossible retour, paru le 21 août 2024, Amélie Nothomb nous propose un récit de voyage au pays de son enfance. Une amie photographe qui a gagné deux billets pour le Japon lui demande de l’accompagner. Elle sera sa guide. Elle accepte, malgré le tourment de revivre l’enfance et son souvenir nostalgique, une enfance de diplomate conclue dans l’arrachement du départ. Elle l’a déjà écrit et raconté dans plusieurs livres : Stupeur et tremblements (1999), Métaphysique des tubes (2000), Biographie de la faim (2004), tous publiés par les éditions Albin Michel. Ce trauma et sa littérature expliquerait-il qu’elle semble avoir autant d’admirateurs que de détracteurs ?

L’impossible retour, ce livre bref, présenté comme son 33e roman, est un récit à la première personne entre Kyoto, Nara et Tokyo. Petit livre pour immense voyage de onze jours, en mai 2023, au Japon, « pays-Graal » : « C’est mon pays préféré au monde, ma terre sacrée. La simple évocation de son nom suffit à me mettre en transe. ». 

La langue d’Amélie Nothomb est moins littéraire que journalistique. La formule fleurit en fin de phrase : « Le japonais est ma langue fantôme. Jusqu’à l’âge de cinq ans, je l’ai parlé couramment (…) Tout se passe comme si le japonais était une marée : à mesure que je m’éloigne, descend la mer des mots ». 

Affiche originale du film « Le garçon et le héron » © 2023 Hayao Miyazaki/Studio Ghibli

Prenez le héron qui semble accueillir Amélie et son amie Pep. Or, depuis le film de Miyazaki, « Le garçon et le héron », cette figure clé pour un autre monde, figure mi-humaine mi-animale, occupe notre imaginaire comme une personnage singulier . Chez Amélie Nothomb, il semble certes leur indiquer le chemin :

« Un héron attend sa pitance à la fenêtre d’une taverne. La restauratrice le fait patienter en lui tendant parfois des rogatons. Ce spectacle nous captive. Il nous vient à l’esprit que si l’échassier a choisi cette enseigne, c’est pour des motifs sérieux. » Et c’est tout. Et c’est dommage.

Ainsi le héron échappe à tout rôle majeur tel celui qu’il aurait dans un film des studios Ghibli. Mais la phrase est prétexte à formule qui fait mouche : « L’animal a le bec fin et se goberge. C’est un plaisir de la voir se repaître. » Plus loin, la même gourmandise du mot et du bon mot la pousse à écrire : « Je m’émeus des loupiotes qui s’allument aux échoppes ». 

L’intrigue de « l’impossible retour » se développe selon deux thématiques. Tout d’abord, la résistance de l’autrice-narratrice à sa propre nostalgie.

« La nostalgie : je ne m’y étais déjà que trop adonnée. Il s’agit de ma pathologie invétérée. Il faut donc que je lui résiste. N’était-il pas temps que je redécouvre le Japon sans être obsédée par ce que j’y avais vécu ? »

Mais elle y résiste difficilement. A la fin du livre, elle confesse aisément : « La nostalgie est l’expression d’un échec, d’une perte. Au moins la ressent-on si fort qu’elle s’inscrit dans le squelette. C’est ainsi que chaque voyage m’appauvrit. Ce qui subsiste est moins la beauté que ce qu’elle a creusé en moi. Mon talent, c’est le manque. Il n’y a pas de limite à ma capacité de carence. »

郷愁 (kyōshū) [nostalgie] par Calligrapher_maki sur Instagram 

Ce thème est allégé par un second, de façade, celui des pérégrinations d’Amélie et de son amie Pep, dont elle excelle à retranscrire les réactions enthousiastes de profane (« Ce doit être prodigieux de découvrir le Japon à l’âge adulte », écrit Nothomb) ou le dialogue que Pep mène avec le personnel hôtelier, Amélie servant d’interprète pleine d’humour : « Je me livre à un exercice de haute diplomatie ». Exemple savoureux, quand Pep veut changer de chambre (elle a entendu des voix) :

  • À l’évidence, ce que tu traduis à ce type n’est pas ce que je lui jette à la figure.
  • Le japonais est une langue autre, je réponds suavement. Par exemple, « espèce de margoulin » se traduit par l’équivalent de « négociateur étonnant ».
  • C’est ça, prends-moi pour une idiote.

Bref, on ne s’ennuie pas. On n’apprend pas grand chose non plus. La lecture est une douce glissade sans aspérité ni surprise. Le lien à son père est cette fois à peine esquissé. « La nostalgie, vertu cardinale de mon père, dont j’ai hérité à cent pour cent. »

En matière de fascination pour le Japon, ce qu’elle nous confiait de son père, jadis consul de Belgique à Osaka, dans Métaphysique des tubes, son roman le plus japonais, a-t-elle assuré, était autrement plus intéressant. 

Amélie Nothomb y racontait les premières années de sa vie au Japon et comment son père avait découvert le théâtre nô dans une vénérable école du Kansai, « dont le maître était un Trésor vivant ». Après quatre heures de représentation, à la suite d’un malentendu, le maître lui propose de devenir son élève. La persévérance des deux paya. Et le père d’Amélie, « devint célèbre au Japon sous le nom qui lui est resté : « le chanteur de nô aux yeux bleus. »

L’impossible retour se clôt par une référence à Nietzsche et sur ce constat sec : « À l’échelle de ma vie, l’éternel retour de l’identique consiste à aller au Japon pour m’apercevoir que ce retour est impossible, que l’amour le plus absolu ne donne pas la clef. »

Ce roman autobiographique à l’allure de récit de voyage en enfance et en nostalgie a été accueilli diversement par la critique qui se partage, comme les lecteurs, semble-t-il, entre admirateurs et détracteurs.

Pour Guy Duplat, de La Libre Belgique, L’impossible retour est « un très bon cru, un retour au Japon plein de nostalgie ». Jean-Luc Wachthausen, du Point, le qualifie de « léger et profond ».

Mention spéciale à la figure paternelle pour Christophe Henning, de La Croix, qui souligne qu’ « Au pays du Soleil levant, c’est la figure paternelle qui réapparaît, comme une ombre, un guide. », tout comme pour Anne-Laure Walter, de La Tribune : « La fulgurance sensuelle et émotionnelle du texte renforce la sobriété de l’évocation paternelle. »

En revanche, Sandrine Bajos, du Parisien, est déçue : « Les premières pages nous emballent, mais ensuite la magie n’opère pas. Frustrant. » 

Enfin, pour Laeticia Deprez, du Courier Picard, c’est « Un livre à conseiller uniquement aux inconditionnels d’Amélie Nothomb ou du Japon. »

Quant à Nathalie Hadj, qui a écrit son premier roman en janvier 2024, publié par le Mercure de France sous le titre de…  « L’impossible retour » (sic), on ne sait pas ce qu’elle en pense.

Demain : 2. La voie de Kaneto Shindō.

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