Pierre Mure, poète bucolique : jouir du monde, pas le gober

Pierre Mure, poète, 90 ans, habitant de Crest, rencontré à Die le 7 mai 2022 à l’occasion de la sortie de son livre « Recueil de poésie », édité à compte d’auteur.

Pierre Mure :

Le tutoiement, c’est demander à m’accepter comme j’accepte l’autre, comme un être humain. Le vouvoiement appartient à une aristocratie. Le tutoiement, c’est l’amitié du cœur.

L’interviewer : Comment te présentes-tu ? Poète ?

Non. Je suis Pierre Mure, un gai-vivant auprès de ma terre et de mon jardin. Je crois que je suis né avec une plume dans les doigts. L’écriture est une nécessité comme le jardinage, la contemplation de la nature et l’amour sincère et pérenne dans un couple.

Quelles sont tes lectures ?

Je suis très éclectique, de la psychologie et de la philosophie. J’ai eu une jeunesse difficile. J’aime Jaccottet, mais je n’aime pas tout.

J’aime ce dicton : « Tu es rapidement accueilli dans le Midi mais plus sincèrement dans le Nord. », la faconde du Midi… mais je ne connais pas les gens du Nord.

Ils ont le soleil dans le cœur, dit le dicton… du Nord.

Mais ne me prends pas au pied de la lettre, il faudrait nuancer. Je ne voudrais pas que se soit mal interpréter. D’ailleurs je voudrais être sûr que tu me comprennes bien. Tu m’enverras l’interview ?

L’interviewer : il y a aussi le surréaliste Paul Naugé qui écrivait : « Ouvre la porte, le soleil est à l’intérieur. »

Pierre Mure : … et moi j’ai écris : « Ouvre ton cœur, tu verras le soleil briller. »

L’interviewer : Ce n’est pas dans ce recueil…

Pierre Mure : J’ai 877 poèmes non publiés, des feuillets A4 sous couverture cuir. Mes enfants Christine et Philippe ont insisté pour que je publie celui-ci. Ils m’ont suivi « avec mon écriture » (manuscrite). Tirage 150 exemplaires. C’est le deuxième à compte d’auteur. Le premier a été tiré à 100 exemplaires, j’en n’ai plus.

C’est à toi de me dire quel genre de poète je suis…

Interviewer : Tes poèmes sont pleins d’énergie et de joie de vivre, enthousiaste et naïve.

Quand je dis « vivons heureux », cela signifie que ton bonheur se construit tous les matins. Il faut savoir en profiter de ce bonheur. La vie est pleine de petits bonheurs furtifs, il faut savoir les saisir, saisir l’ivraie. 

L’ivraie, l’ivresse

Pierre Mure : Être avec toi, c’est un bonheur. On ne se connaît pas. Je sais juste que tu es chroniqueur littéraire, que tu t’appelles Tortel. On ne se connait pas et on ne se connaîtra pas après mais mais c’est un bonheur cette rencontre.

Tu t’appelles Tortel mais peu importe le nom…

L’intervieweur : Le poème « Prégnances » me plaît beaucoup.

Pierre Mure : Un poème n’est pas pensé à l’avance. Il est d’un moment de plénitude quand le cerveau est débarrassé de ses servitudes. La nuit, des mots me viennent, j’ai un guéridon, je me lève, j’écris.

Pierre Mure lit son poème « Rencontre », lecture filmée « Chez Christine », sur la place de la cathédrale de Die.

[Vidéo : « C’est par le métissage que le monde évoluera »]

Ça vient du fond du cœur. La rencontre c’est discuter sans être du même avis, donner à l’autre la jouissance de pouvoir s’exprimer…

L’interviewer : C’est un poème à message…

Pierre Mure : Oui, le message c’est que le monde ne vivra que si les hégémonies, on les laisse de côté. Mais ce n’est pas gober le monde.

L’interviewer : Quel rôle a eu la poésie dans ta vie ?

Pierre Mure : Je suis de janvier 1932, j’ai 90 ans.

Enfant, j’ai eu une vie de famille de malades mentaux. J’étais brutalisé. La poésie était le seul moyen de m’exprimer à l’insu de ma famille. C’était aussi un moyen de subjuguer mon épouse. La poésie c’est un moyen de vivre.

Je cherchais à rimer.

Je me souviens. A l’époque du certificat d’études, j’ai été premier du canton de Crest [commune entre Valence et Die]. La veille nous avons eu en classe une rédaction sur un sujet imposé : « le vignoble ». J’ai écrit que je me promenais dans les rangées de vignes, je m’allongeais devant un cep, qu’il pleurait, cela m’a ému.

C’est d’ailleurs une vérité : si on le taille trop tard, la sève coule.

L’instituteur : « Élève Mure, levez-vous. Passez au tableau. »

L’intervieweur : Il ne disait pas « tu » ?

Pierre Mure : Non, pas lui. 

Il me demande de lire devant toute la classe les lignes qu’il avait soulignées.

La lecture terminée, tout le monde a applaudi.

L’intervieweur : Comment s’appelait cet instituteur ?

Pierre Mure : Ce n’est pas important.

L’intervieweur : Vraiment ?

Pierre Mure : Monsieur Blanchecape.

L’intervieweur : Vous êtes un félibre, comme vous l’écrivez dans le poème… ?

Pierre Mure : C’est quoi, un félibre ?

L’intervieweur : Un poète de langue d’oc.

Pierre Mure : Non. Mais oui, j’aime décrire la nature, un poète agricole ? un poète bucolique, oui.

Mes arbres, je leur parle. Un arbre, je l’attrape [il fait un grand geste d’embrassement avec les bras].

Je connais un châtaignier, il est très connu, il a entre 6 et 700 ans. Il a des racines massives, il est touffu. Il m’a saisi, pris au cœur, j’étais heureux. C’était il y a 6 ou 7 mois.

L’intervieweur : Vous en avez fait un poème de cette relation ?

Pierre Mure : Oui. Son titre : « L’arbre mon ami ».

Devant une pousse, je me mets à genoux, je la remercie pour sa beauté, si on veut bien sûr l’écouter.

On n’est pas maître de soi, mais beaucoup contingent des autres.

L’intervieweur : « Quand tu t’y mets Pierrot, on peut plus t’arrêter. »

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