À un croc de boucher

« Noël étant par définition une nuit triste pour les fauchés il s’agit de passer ce cap de la façon la plus joyeuse possible, principalement en se soûlant la gueule pour trois jours, ce qui est relativement facile avec la prolixité des orgies populaires, et le mieux est de grimper à la foire de Pigalle, cette immense attraction quasi gratuite où toujours l’inattendu arrive, plus intéressante en cela que celle du Trône qui attend le printemps pour s’épanouir, moment où il fait meilleur pour prendre la route que de rester en ville. »

Jean-Paul Clébert (photos Patrice Molinard), Paris insolite, « Roman aléatoire », Attila, 2009 p. 129 (Denoël, 1952, 1ère éd.)

Paris insolite, Photo © Attila / Agnès et Laurence Molinard

Photo © Attila / Agnès et Laurence Molinard

et p. 146 : « À Paris, la faim prend des proportions gigantesques, parce qu’on sent les victuailles, ce mot atroce si proche d’entrailles, derrière chaque mur, derrière chaque fenêtre, entassées, rangées, étiquetées ou dispersées, abandonnées, gâchées. Une des principales attirances de l’affamé est celle des menus crochés à la vitre des restaurants, qui le captent, de loin, de l’autre côté de la rue, l’aimantent, le rivent oculairement à leur lecture lente, et qui sont de véritables poèmes, poésie pure, vivante, charnelle, les vocables et expressions ne parlant plus à l’âme mais à l’estomac, leur rythme ne contractant plus la matière grise mais la moelle épinière et les sucs gastriques, et dont la répétition à voix haute n’est plus tonalité illusoire mais fluidité salivante et humectante. »

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