Le rôle de l’art ? Produire du discernement (Bernard Stiegler)

« Dans l’art et la culture, comme dans tous les domaines, le consommateur a remplacé l’amateur. L’audimat et le marketing ont fait leur entrée dans les musées. Les publics sont devenus des audiences au sens des grands médias de masse. Il est affligeant de constater qu’un visiteur du Louvre consacre en moyenne 42 secondes à chaque œuvre : c’est du zapping. Le rapport aux œuvres devient de plus en plus quantitatif, et les grands musées se focalisent sur leur fréquentation. Ce consumérisme est à l’opposé de cette relation éminemment qualitative et intime qu’un amateur d’art entretient avec les œuvres. (…) 

Nous ne sommes plus dans une économie du désir, mais de la dépendance, nous vivons dans une société grégaire où la croissance est devenue une mécroissance : une société du tout-jetable, de l’infidélité, promue par un capitalisme pulsionnel qui fonce dans un mur. Moins en sait le destinataire des industries culturelles qui orchestrent cette déchéance, plus il est abruti, et mieux cela vaut : ce système détruit les savoirs, c’est-à-dire aussi l’estime de soi et des autres.

(…) Le rôle de l’art en général, c’est d’intensifier l’individuation en produisant du discernement. L’art pense avec les sens et les artefacts, et il discerne du singulier – c’est-à-dire de la nécessité et de l’incomparable – dans ce qui n’est d’abord que de l’artifice et de la reproduction. »

Bernard Stiegler, L’Oeil, mars 2011.

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