Quand Ernest Pépin écrit Le soleil pleurait (éditions Vents d’ailleurs), c’est en hommage à Aimé Césaire qui est l’auteur parmi ses quatre pièces de théâtre de Et les chiens se taisaient (1948). Mais les écritures n’ont rien à voir. Chez Ernest Pépin la tragédie est jubilatoire : son titre ne laisse pas présager de l’euphorie d’un style emporté. Emporté par un vocabulaire en éruption, où les parlers sont en ébullition, en émulation dans une grande jacasserie, emporté par des listes de mots qui n’épuisent jamais son imaginaire langagier, par un créole ou un français « des grandes circonstances » à la hauteur de l’enjeu et d’un thème dramatique : en Haïti, le kidnapping de la jeune mulâtresse Régina, fille de Marie-Soleil.
Le lecteur ne sait s’il doit admirer cette effusion… Ernest Pépin tisse son récit comme un pitt à paroles où fuse « une guerre des mots » permanente. L’un des personnages est nommé « Dictionnaire ». Un autre qui répond du nom de « Foufoune la Gragée » collectionne les expressions. Tantôt « le créole sonne sec et rapide », tantôt les « mots tombent comme des cendres mortes ». Et quand un président prend le pouvoir (un Aristide), il déclenche « une avalasse de mots emportant sur son passage la crasse des jours impurs. »
« Je suis un écriveur-raconteur » dit l’auteur-narrateur, qui s’en va enquêter dans le pays d’origine de Marie-Soleil, un pays nommé Paulette (qui existe bel et bien au Nord d’Haïti, entre Cap-Haïtien et Fort-Liberté) :
« Depuis le temps que je vivais en Haïti, j’avais appris à lancer des bouts de mots, à recueillir des miettes, à écouter sans avoir l’air, à parler sans parler. Je savais néanmoins que surprendre dans un pays habitué au réel merveilleux est chose fort improbable. J’allais essayer tout de même avec cet inconvénient majeur : aux yeux des habitants de Paulette, je n’étais qu’un raconteur. Autant dire un inutile ! ».
Ernest Pépin n’a pas écrit un livre inutile, mais un traité de truculence, une belle histoire pour la bourlingue façon conte moderne au pays où les malheurs n’auront jamais prise sur la faconde et le soleil.
À lire la critique du roman d’Ernest Pépin, par Dominique Batraville dans Le Nouvelliste : « Cette chronique d’une ville assassine comptera parmi les plus beaux écrits sur Port-au-Prince. »
Avec Max Rippon, le merveilleux s’ajoute aussi à la tristesse et se niche tout entier dans son titre : Morriña (éditions Jasor), mot galicien (province autonome d’Espagne) pour dire la mélancolie comme leur voisins portugais disent la saudade portugaise. Pour un séjour à Bordeaux qui l’invitait peu avant le Salon du livre de Paris, l’écrivain natif de Marie-Galante, a réuni une brassée de poèmes dans des langues diverses. Une manière de créolisation, comme il nous l’a confié.
Tous deux se rejoignent dans la filiation à Césaire et Glissant. Et tous deux aspirent à une renaissance.

