Eric Faye, Nagazaki, Grand Prix du roman de l’Académie française 2010

En rentrant de l’Institut du Tout-Monde qui recevait Michaël Ferrier pour son excellent roman Sympathie pour le Fantôme (Gallimard) et qui dresse l’orbe romanesque de la ville de Tokyo et le vibrato de personnages oubliés de l’histoire de France, originaires d’archipels ultrapériphériques, j’apprends que le Japon a résonné jusque sous la Coupole puisque l’Académie française, dans sa séance du jeudi 28 octobre 2010, a décerné son Grand Prix du Roman, d’un montant de 7 500 euros, à Éric Faye pour son superbe Nagasaki (Stock).

Éric Faye a obtenu, au troisième tour de scrutin, 9 voix contre 6 voix à Mme Maylis de Kérangal (Naissance d’un pont, Verticales).

Ainsi donc, le Japon est dans un cas lieu de décentrement d’un récit national (comment parler de l’histoire de France sans succomber aux clichés est l’obsession du narrateur de Sympathie), dans l’autre cas lieu d’un conte moral sur la solitude dans la ville… mais finalement d’un décentrement par rapport à soi.

Pays magnifique qui sait être chez Ferrier l’écho d’un monde pluriel ; chez Faye, lieu fantastique ou poétique. Mais leur deux visions de l’avenir semblent s’opposer, l’un respire le monde, l’autre en est étouffé.

Michaël Ferrer donne envie de revoir Rashōmon d’Akira Kurosawa, film qui l’a inspiré et qui raconte un crime selon quatre points de vue différents. Mais pas seulement : les innombrables questions que pose son livre remuent la nuit qui suit.

Eric Faye renvoie à Perec écrivant : « J’ai plusieurs fois essayé de penser à un appartement dans lequel il y aurait une pièce inutile, absolument et délibérément inutile. » Mais pas seulement : il laisse sonné.

Son glissement progressif, du faits-divers, qui l’a inspiré au mystère, Eric Faye le décrit très bien dans cette interview à Télérama :

« Eric Faye avoue avoir ressenti « un état de rêverie propice à l’écriture, un court-circuit, ce petit signe que tout écrivain recherche. J’étais fasciné par ce fait divers qui ose ce que la fiction ou les auteurs n’osent pas. Sans cet article, je n’aurais ­jamais eu le culot d’imaginer une telle histoire. »

Il lui faudra une année pour trouver une forme littéraire, dériver du réel à l’imaginaire, donner un corps, des habitudes à son personnage, le faire vivre dans une autre ville, Nagasaki, couler en lui sa sensibilité, ses « obsessions personnelles » : « l’effacement, le temps, les ratages, la solitude… ».

Eric Faye laisse s’épaissir le mystère sans chercher à le comprendre. Il se refuse toute enquête, va d’une voix à l’autre, change de perspective, confie au lecteur le soin de se couler dans cette étrangeté… bien réelle. « Je n’apporte aucune résolution, comme peuvent le faire des auteurs de romans policiers. Je réhabilite le mystère. » »

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