Dany Laferrière a une conscience juste de sa place dans le monde. Plus même qu’une place, il s’agit d’une « époque ». Celle de l’Haïti de l’après tremblement de terre du 12 janvier 2010, et de ses frontières naturelles « devenues mobiles » par la forte résonance mondialisée de l’événement, comme il l’a raconté magnifiquement lors d’une soirée à la Bibliothèque de l’Arsenal, à Paris.
Car Dany Laferrière est à Paris, vivant et debout, tout juste arrivé de Montréal qu’il avait rejoint peu de temps après le séisme qu’il juge être « l’événement le plus important pour Haïti depuis son indépendance, en 1804 ».
Dans l’échange qu’il mène avec Claude Arnaud, l’homme de Petit-Goâve reconnaît : « c’est un tremblement de terre qui a cassé un pays qui était à genoux », un événement sans manœuvre humaine — contrairement aux coups d’état —, ce qui a permis une lecture plus saine (de la part) de l’étranger. »
Pour l’auteur de L’énigme du retour, qu’avec ce séisme, Haïti est entré dans les préoccupations du monde, hors toute étiquette encombrante, stigmatisante. Dès son retour à Montréal, il avait d’ailleurs dénoncé l’usage du terme « malédiction » par les commentateurs un peu rapides : « Il faut cesser d’employer ce terme de malédiction. C’est un mot insultant qui sous-entend qu’Haïti a fait quelque chose de mal et qu’il le paye. » (Le Monde, 16/01/10)
La mobilisation de solidarité pour Haïti n’a eu que deux précédents, selon lui : We are the world (une chanson de Michaël Jackson et Lionel Richie contre la famine en Ethiopie, en 1985, qui a rapporté 50 millions de dollars) et le Mandela Day (le concert anniversaire en 2009).
« Haïti vient de rentrer, répète Dany Laferrière : un peu partout des jeunes gens veulent aider. Avec Obama, les jeunes gens ont eu une grande victoire. Et l’écologie est au centre de leurs préoccupations. Ils ont une vision planétaire du monde. Haïti n’est pas vu comme un endroit folklorique, pas un lieu, mais dans le temps de notre époque, et Haïti c’est compris là-dedans.
Haïti a provoqué une énorme émotion depuis deux cents ans, qui n’a pas trouvé de canalisation. Aujourd’hui il y a un moment à attraper, entre larmes et excitation, il y a un moment-là. C’est comme si Haïti cherchait un moment, on tient un moment, on tient un moment, il coûte cher, mais on tient un moment. C’est un moment fort. »
Pendant deux heures la salle de la Bibliothèque de l’Arsenal, de haute tradition littéraire pendant tout le XIXe siècle, a donc résonné des propos d’un écrivain rescapé d’un tremblement de terre, ce qui donne quelque gravité aux mots, même si l’intéressé manie avec talent l’humour comme le témoignage personnel.
Parti aux nouvelles de sa mère de 84 ans, le lendemain du séisme, il a pu constaté qu’elle était pleine de verve, se demandant de quoi 2011 serait fait.
Dany Laferrière n’a pas directement répondu à la belle question de Claude Arnaud (Quelle part la culture peut prendre dans la reconstruction ?), mais il a dit mieux, en retirant quelque culpabilité à ceux qui pourraient aimer Haïti tout en n’y pouvant rien…
« Aller sur place, aller en faisant quelque chose. Ceux qui aiment Haïti, qu’ils fassent comme avant, qu’Haïti ne deviennent pas une cause, le faire sur la durée, essayer de trouver un rythme quotidien, qu’Haïti reprennne le dialogue. Il faut comptabiliser ce qu’Haïti a fait (en émotion) pour retrouver le sens du dialogue.
Cet événement a réveillé en moins d’une semaine l’Occident. La manière qu’ont eu les Haïtiens à faire face en marchant tranquillement, les gens ont vu ça (par les télévisions), ça les a rendu proches. Les Haïtiens n’étaient pas vu seulement comme des sujets à plaindre. »
« La culture structure la vie sociale haïtienne. C’est la source de cette vitalité. »
Et de surprendre par cette utopie : « Il faut faire un échange de biens et d’émotions. »
A la question d’une auditrice haïtienne (êtes-vous prêt à aller en Haïti pour participer à la reconstruction ?), l’écrivain montréalais a répondu plus globalement :
« En étant ici, c’est déjà commencé. La reconstruction n’est pas que physique. J’ai entendu une clameur après l’interview du Monde sur la malédiction. Ce qui est important, c’est de maintenir le dialogue, ne pas se tenir dans des discours corsetés, les gens de pouvoirs aiment les discours bien fermés. Personne n’est obligé d’aider Haïti. Les gens vont le faire spontanément. Il faut maintenir ce ton, ce ton digne, le ton des gens qui marchaient dans les rues après… »
Conférence intégrale sur le site du Temps .
