Césaire, ce grand cri nègre (5)

De l’écrivain Lyonel Trouillot, lire sa réaction dans le quotidien haïtien Le Matin :

(…) Les Antilles ont deux grandes entrées dans l’histoire : la révolution haïtienne et l’œuvre d’Aimé Césaire (…) Dans ce mot qu’il invente : la négritude, il y a la mémoire de ce qui n’aurait pas dû être. Mémoire qui prend la force d’un cri. Non pour lui seul. Non pour sa seule Martinique, même si, comme l’écrit Jacqueline Leiner : Césaire instaure une nation par le langage. Non pour le seul archipel des Antilles et l’Amérique noire, même si dans « ce qui est à moi » il y a la Guadeloupe, Haïti… jusqu’à la «comique petite queue de la Floride. » Mais pour toute la race noire : « Sire, toute souffrance qui se pouvait souffrir, nous l’avons soufferte. Toute humiliation qui se pouvait boire, nous l’avons bue » dit un personnage de Saison. Césaire est l’inventeur de ce nous collectif qui rassemble toutes les victimes de l’esclavage et du colonialisme modernes. Non dans le mythe d’une essence intemporelle, mais dans le vécu historique et la quête de l’avenir. Victoire de l’œuvre et de l’homme sur toutes les théories opposant le particulier à l’universel, sur toutes les théories opposant le sujet collectif au sujet individuel, sur toutes les théories opposant la part raisonnée de l’œuvre aux surgissements de l’inconscient : « Dire d’un délire alliant l’univers entier /à la surrection d’un rocher. »

(…) Césaire a donné voix à la souffrance, à la révolte, à l’énergie de quantité de petits rochers. C’est pour cela qu’il ne peut pas mourir. C’est pour cela que si notre archipel vient de perdre son oracle, la dette et la reconnaissance sont plus fortes que le deuil.

Laisser un commentaire