« Un soupçon d’indigo » trace des bleus dans la mémoire (Michèle Gazier)

C’est un roman qu’on lit comme on feuillette un guide touristique qui, très vite, deviendrait un album de famille, sans photo, avec seulement des taches de bleus éparses. Les couleurs, la touffeur des tropiques, les bruits, les bavardages de trois hommes invisibles et mystérieux, le créole qui s’ouvre difficilement. Autant d’indices que Michèle Gazier dispose en touches impressionnistes sur le chemin de la mémoire « avare de souvenirs, d’indices », comme le Petit Poucet et ses cailloux. Michèle Gazier réussit à créer un suspense intimiste où le  » soupçon d’indigo  » est ce qui reste dans la mémoire de Lucie et des anciens de l’île.

Lucie découvre  » l’île ronde  » de Marie-Galante, en face de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). Ses yeux bleu indigo signent sa parenté probable avec Maurice, un homme qui naguère imprima une marque indélébile dans la mémoire collective. Il a disparu du jour au lendemain. Mort ? Évanoui, parti, noyé dans le bleu du paysage qu’il avait choisi. Lucie est sa petite-fille. Elle ne l’a pas connu.  » I mako kon tou a seri « , entend-elle en créole.  » Elle est curieuse comme un trou de serrure. » Comme la romancière est curieuse de l’île.

Cette île de Marie-Galante est révélée subtilement par  » son négligé, son charme noir, son austérité « . Avant la canne à sucre, ses distilleries, la culture du rhum, elle avait une richesse : l’indigotier. Dans l’indigotier, il y a l’indigo. Dans l’indigo, il y a l’Inde. L’air de rien… cet indigo distille le soupçon de l’Histoire à travers l’histoire de Lucie, de sa mère Isabelle et du père d’Isabelle, Maurice. Ce roman en trois parties donc nous livre trois recherches sur la mémoire diffuse et poreuse d’un être aimé qui abandonna sa famille, en quête d’idéal. Trois parties, trois écritures : la découverte impressionniste ; le tourment filial de l’abandon ; l’amitié révélée. Les deux premières parties, deux femmes, une fille, sa mère.

Un soupçon d’indigo est un roman de la couleur bien entendu. Il y a le bleu et ses traces. Mais aussi les Noirs et les Blancs. Et le gris, couleur qui obnubila jadis Gauguin lors de son passage en Martinique. Oui, le gris.

Dans la troisième partie du livre, intitulée  » Maurice « , c’est un métis antillais qui raconte cette amitié qui le révéla à lui-même ( » Nous n’en finirons jamais avec ces histoires de couleur, nous, Antillais, pur mélange. Enfin, presque. »)

Extrait, p. 214-215 :

 » C’est la couleur de votre peau qui me revient lorsque je cherche votre image dans ma mémoire. Une couleur qui n’avait rien à voir avec votre teint de Blanc. Je vous avais connu hâlé, de ce hâle léger qui faisait ressortir le bleu de vos yeux mélancoliques. Je vous avais revu plus blanc de mes séjours parisiens. Chez nous, vous êtes devenu blafard puis, peu à peu, gris de ce gris étrange des nègres qui ont perdu leur couleur à force de fatigue, de rhum et de tristesse. Un gris de vielle barcasse que perçait votre regard, désormais perdu, affolé, immense. Des yeux comme des flaques qui veulent refléter le vie telle qu’elle est; qui ne veulent rien perdre de sa part sordide. Des yeux à la recherche de la vérité. Mais la vérité, comme le soleil et l’amour, peut être regardée en face. La vérité tue. « 

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