Quel Césaire étrange et chenu apparaît dans le documentaire Aimé Césaire : Un nègre fondamental de la collection Empreintes de France 5 ! Ce 6e numéro (sur 120) est diffusé vendredi 9 novembre à 20h40, rediffusion le 11 à 9h45. Un Césaire comme un vieillard fraternel et fier. Exemple incarné de la parole du Victor Hugo des Misérables : » C’était, on s’en souvient, un de ces vieillards antiques qui attendent la mort tout droits, que l’âge charge sans les faire plier, et que le chagrin même ne courbe pas. »
François Fevre, l’auteur du film, est venu trop tard. Images connues d’un Aimé Césaire dignement et toujours costumé-cravaté, dans son bureau de l’ancienne mairie de Fort-de-France, dans son auto lors de sa ballade quotidienne, ou encore pendant son 94e anniversaire, le 26 juin dernier, fêté par la belle chanson griotte d’une admiratrice sénégalaise. Césaire public en somme. Mais pas de Césaire chez lui.
Images d’archives moins connues ou ignorées montrant Césaire jeune député entrant à l’Assemblée, faisant la leçon sur l’impossible devise Liberté, parité, fraternité, pour achever de convaincre un insensé que l’Egalité n’a pas de synonyme ou que la Liberté ne supporte pas l’épithète. Césaire discourant sur la négritude, soit doctement à en être incompréhensible, soit invité à Miami et jugeant -avec lucidité- lourd le mot carcan.
L’ensemble apparaît comme une réalisation patchwork, honnête, mise à l’épreuve par une personnalité sans tropisme pour les médias. On est forcément attendri. Et admiratif devant la trajectoire -commentaire dit par Anny Duperey- et la portée visionnaire des propos de l’auteur de Cahier d’un retour au pays natal,comme devant l’influence panafricaniste de ses idées lorsqu’il apparaît à la tribune du premier Congrès des écrivains et artistes noirs, réuni à la Sorbonne en 1956.
En revanche, ce qui souffre du traitement décousu de son itinéraire intellectuel et politique, c’est la densité de l’homme et de l’oeuvre poétique. Le Cahier est juste mentionné. Aucun extrait n’est lu (Pourquoi se passer de la belle prestation scénique de Jacques Martial ?). Pourtant la belle présence vocale de Jean-Michel Martial (lecteur des extraits de textes) fait à chaque fois tendre l’oreille, tant le ton est juste. De même François Fevre a préféré un extrait de La Tempête à La Tragédie du Roi Christophe. D’ailleurs le mot » Haïti » n’est pas mentionné, à aucun moment. Grande est l’absence des admirateurs de Césaire, Senghor n’est pas entendu, Sartre et Breton ne sont pas mentionnés.
Malgré son empathie chaleureuse, François Fevre vient tard : l’homme et son oeuvre ne se réduisent pas à un vieillard fraternel et fier. Ce rebelle en poésie, ce grammairien de la politique dont Lilyan Kesteloot écrivait en 1962 (Aimé Césaire, collection Poètes d’aujourd’hui, chez Seghers) :
» Je ne vois pas dans l’histoire de la littérature française une personnalité qui ait à ce point intégré les éléments aussi divers que la conscience raciale, la création artistique et l’action politique. Je ne vois pas de personnalité aussi puissamment unifiée et à la fois aussi complexe que celle de Césaire. Et c’est là, sans doute, que réside le secret de l’exceptionnelle densité d’une poésie qui s’est, à un degré extrême, chargée de toute la cohérence d’une vie d’homme. «
