Ouverture en noir et blanc, ouverture réussie et magnifiquement dérangeante, de la saison théâtrale à l’Athénée théâtre Louis-Jouvet, de Paris, avec deux pièces, toutes deux à 20h et jusqu’au 20 octobre : Les Nègres de Jean Genet et Topdog/Underdog de Suzan-Lori Parks. Deux pièces que les lycéens devraient aller voir…
Les Nègres, créée à la veille des indépendances africaines, présente une troupe de comédiens jouant l’idée que des blancs se font des noirs. Ces comédiens sont noirs et blancs. Ils vont être jugés par une Cour où les rôles sont interprétés par des comédiens noirs et blancs. Cet emboîtement des situations, leur mise en miroir permanent et toujours soumis à la question (les spécialistes parlent de mise en abyme) nous oblige à considérer de manière autrement complexe la » question noire » que l’année 2005 a fit resurgir.
Topdog/Underdog est jouée dans un petite salle, le public se retrouve plongé, aux Etats-Unis, dans le quotidien d’une chambre miteuse. Par un effet grossissant, l’histoire américaine et un élément fondateur se rejouent devant nos yeux. Deux frères habitent cet abri. L’aîné s’appelle Lincoln, le cadet Booth. L’aîné porte le nom d’un président des Etats-Unis qui a mis fin à la Guerre de Sécession, le cadet porte le nom de son assassin. Ainsi en ont voulu les parents, qui les ont d’ailleurs abandonnés.
Curieuse situation où se réfléchit encore en miroir… l’histoire et la tragédie américaine. Lincoln a été le premier président américain assassiné.
Mais ce jeu de double est un jeu de dupe. Pour gagner sa vie, Lincoln doit s’exiber dans une foire, où il porte maquillage… blanc et barbe. Des spectateurs lui tirent dessus… à blanc. Se joue ainsi une histoire fondatrice de l’Amérique où la couleur (noire) est ainsi masquée… et le lynchage symbolique permanent.
Mais de retour chez lui (ou plutôt chez son frère où il squatte), Lincoln redevient… noir. Là se joue une autre histoire de dominant/dominé… Aîné/cadet, maître/disciple au bonneteau, » Topdog/Underdog » (chien dominant/chien dominé). Ecrire en pays dominé, a écrit Chamoiseau ; Dans Topdog/Underdog se joue un curieux phénomène où les deux frères revivent leur enfance…
On pourrait dire que Topdog/Underdog est une autre » clownerie » que Les Nègres, selon le mot employé par Genet, dont le nom d’origine était… Blanc. Ces deux pièces ont des points communs : la domination raciale, les préjugés, les stéréotypes et la volonté des deux auteurs à plus de quarante ans d’écart de brouiller les pistes pour mieux interroger nos contradictions, notre difficulté à regarder l’Autre dans sa dimension propre.
Les Nègres est un classique du théâtre contemporain. Sa précédente présentaton l’était dans la mise en scène d’Alain Ollivier au théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis (banlieue Nord de Paris), au printemps 2002. La mise en scène de Cristèle Alves Meira, du haut de ses 24 ans, lui apporte une fraîcheur qui la renouvelle. Elle a même obtenu des ayant-droits de Genet de remplace dans le texte de la pièce le mot » Afrique » par le mot » Autre « , dans une volonté de généralisation. Comme si » on était toujours le Nègre de quelqu’un « . Sa réflexion sur la question identitaire est à ce prix. Comme le désir de monter cette pièce après les événements de banlieue en 2005.
Topdog/Underdog est une véritable révélation, écrite par une figure de la nouvelle génération du théâtre américain. Suzan-Lori Parks est actuellement en tête d’affiche de la saison théâtrale américaine avec sa série marathon : 365 days/365 plays, autrement dit : elle a passé l’année 2006 à écrire une pièce par jour ! Bref, elle est d’une autre dimension…
» Suzan-Lori Parks a reçu le prix Pulitzer de théâtre en 2002 pour cette oeuvre qualifiée de « post-raciste », ce qui signifie qu’il ne s’agit pas d’un drame entre Afro-Américains, mais simplement entre deux frères, faisant, comme dans un roman noir, le mauvais choix qui conduit à l’abîme. « (Martine Silber, Le Monde, 12/10/07)

Suzan-Lori Parks est née en 1964 dans le Kentucky. Très tôt influencée par James Baldwin, elle a écrit plus d’une dizaine de pièces de théâtre ( Venus, In the Blood, Fucking A), des scénarii (elle a écrit pour Spike Lee, Oprah Winfrey, Denzel Washington) et un roman. Elle a remporté le prix Mac Arthur Foundation “Genius Grant” en 2oo1, et le Pulitzer Prize for Drama en 2oo2 pour Topdog/Underdog. Suzan-Lori Parks est une tenante de l’art dit « prismatique », qui entend échapper au paradigme de la « race », à toute forme d’essentialisme racial ou ethnique : « En tant qu’Africains-Américains, nous devons reconnaître cet essentialisme insidieux (la »négrité ») pour ce que c’est : un satané piège visant à nous réduire à une seule et unique manière d’être. Nous devons entreprendre de montrer au monde, ainsi qu’à nous-mêmes, notre diversité : elle est aussi magnifique que puissamment infinie. »
Dans Topdog/Underdog, la question de la responsabilité de chacun dans sa condtion est ainsi posé. Après tout, Lincoln, interprété par Moanda Daddy Kamono (photo du haut), a le choix entre se faire licencier de son rôle dans un jeu de massacre humiliant ou de reprendre son activité de bonneteur. Son frère (joué par Toto Kisaku Mbengana, photo du bas) a le choix entre disputer la suprématie du jeu à son frère, épouser sa petite amie, Grace, ou l’assassiner…
Ajoutons que c’est un spectacle où l’on rit, comme dans Les Nègres… Comme quoi, la tragédie de notre condition d’homme se regardant dans le miroir de l’Autre, n’est pas de tout repos.
La Bibliothèque nationale de France (BnF) organise une rencontre autour des représentations du Noir dans le théâtre contemporain (mardi 16 octobre 2007, 18h30 – 20h30) avec Philip Boulay, metteur en scène de Topdog/Underdog, Cristel Alves Meira, metteur en scène des Nègres, et Sylvie Chalaye, de l’Université de Paris 3. Site François-Mitterrand, Petit auditorium, entrée libre.
Pour prolonger la question :


