L’espoir tragique des écrivains de La Réunion (Jean-François Samlong)

Extrait d’un entretien de Jean-François Samlong par François Mauger dans Mondomix (17/03/11)

« Dans La crise de l’Outre-mer français (L’Harmattan, 2009), vous écrivez que les Réunionnais n’auront « pas de sitôt un Saint-John Perse, un Aimé Césaire, un Edouard Glissant, un Patrick Chamoiseau, une Simone Schwarz-Bart ou une Maryse Condé ». Pourquoi être si pessimiste ? L’île qui a vu naître Danyel Waro n’est-elle donc pas fertile ?

Jean-François Samlong : Ce n’est pas du pessimisme ni de la fatalité, mais un simple constat fondé sur la réalité d’une littérature réunionnaise qui ne se contente pas de stagner, mais régresse, en perte de vitesse, faute de bons textes. C’est tout. Je ne jette la pierre à personne. J’attire le regard sur un fait qui me préoccupe.
(…)
On consommera « l’année des Outre-mer français », et puis on passera à d’autres projets, nécessairement, ne serait-ce que pour oublier que la Réunion compte aujourd’hui 120 000 illettrés (sur 750 000 habitants), a un taux de chômage exorbitant (plus de 30% de la population active), et une jeunesse diplômée aux abois.

On comprend parfaitement que dans un contexte social si explosif, écrivains et autres intellectuels ont hâte de s’engouffrer aussi bien dans les salons du livre qui se tiennent aux quatre coins de la métropole que dans « l’année des Outre-mer français », ils en redemandent même, plutôt gourmands, car tout cela redonne un sens à leur vie et leur permet de continuer à espérer ; car il leur est impossible de se débarrasser de l’odeur persistante de leur identité, de l’ampleur de leurs spécificités locales et régionales, bref, de leur mal de vivre.

Alors, dans un mouvement désespéré, quelque part risible, oubliant ce qu’est le détachement et la méditation, ils veulent se fondre dans le grand Tout.

Histoire sans cesse réécrite des Outre-mer français qui ont besoin d’une année spécifique, d’un espace autre, d’un auditoire autre, d’un ailleurs autre, dans l’espoir de briller de tous leurs feux.

Cet espoir contient en lui quelque chose de tragique, comme s’il s’agissait de faire coulisser les espaces, de reconstituer le puzzle de sa vie loin de l’ancrage historique, de déplacer les problèmes, d’investir de nouveaux lieux pour de nouveaux lendemains, le lieu originel devenant de plus en plus hostile aux rêves de toute une jeunesse.

Oui, pourquoi pas ? Mais qu’on prenne bien conscience que ce grand écart n’est possible que si les peuples des Outre-mer français, en quête d’un éclairage venu du dehors, rejettent l’éclairage venu du dedans, follement amoureux de ce que Virginia Woolf appelle « le dédoublement dans les miroirs ». C’est ainsi que, par milliers, hommes et femmes de l’Outre-mer s’envolent vers ce grand pays qu’est la France, ce pays sans soleil, ce pays fascinant de la non-identité. »

2 commentaires

  1. Avatar de Inconnu

    Bonjour !

    Je suis d’accord avec pratiquement tout ce qui est écrit mais…… la France « SANS SOLEIL » oh non ! là-bas aussi il y a des « soleils » et que s’il existe une « généralité » il existe aussi des « exceptions ». S’il vous plaît Mesdames, Messieurs de l’outremer ne pensez pas que nous pensons tous pareil ! Ces propos font beaucoup de peine à ceux qui vous sont tout acquis à votre cause !

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  2. Avatar de Inconnu

    Bonjour !

    Je suis d’accord avec presque tout ce qui est écrit ! Mais dire que la France est un pays « SANS SOLEIL » non !!! S’il peut y avoir une généralité, il y a forcément des « exceptions »! Il y a en France beaucoup de gens qui aiment l’outremer dont moi et croyez-moi chaque fois que j’en ai l’occasion je défends tous les ultra-marins sans exception me mettant parfois au « ban » d’une certaine société.
    Ces propos m’ont rendu tristes mais je continue ma lutte !!!

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