Mon métier consiste à remanier un gouvernement du ministre d’État jusqu’au sous-secrétaire d’État. A remanier le plus vite possible. C’est un métier d’homme. D’abord parce que lorsqu’il est en haut, l’homme a envie de remanier la liste jusqu’en bas, ensuite lorsqu’il y a plusieurs hommes, ils veulent tous remanier plus vite les uns que les autres.
Un métier humain.
Je suis remanieur de gouvernement.
Il y a eu les remanieurs post-électoraux, les remanieurs qui s’étaient préparés longtemps à l’avance, les remanieurs dynamiteurs et maintenant il y a moi. Je serai champion du monde de la composition de liste et, à la prochaine élection présidentielle, ma liste sera un palmarès.
Je suis l’homme le plus équilibré de l’Élysée, le plus calme, le plus concentré, et mon travail consiste à fabriquer de l’équilibre.
Tous les grands remanieurs fabriquent de l’équilibre.
Remanier c’est d’abord remanier autrement ; de façon à semer l’inquiétude et le doute.
Faire peur. Remanier de telle manière que les autres soient persuadés que vous ne tiendrez pas le rendez-vous du journal de 20h, jusqu’à ce qu’une génération entière remanie comme vous.
Dans une vie de remanieur, on ne peut inventer qu’un équilibre génial et un seul.
Les Canadiens sont arrivés sur le circuit avec la réputation de « remaniements surprises » et deux mandatures plus tard, les cinquante top-remanieurs du circuit recomposaient comme eux.
Maintenant, il y a moi.
Être un grand jongleur de la nomenclature des ministrables est un état qui exige un don absolu de soi-même et une concentration totale. Je remanie à temps plein. Je remanie en lisant la presse people. Je vis avec le Who’s who dans mon attaché-case pour mieux jongler avec les listes. Je souris à tous les candidats parce qu’ils m’aident à réviser. Je casse la tête de mon président qui est nul parce que je sais que cela m’aidera à retoucher.
Prenez deux hommes à égalité de mémoire et de sourire, sur la même liste, mettez-les à côté l’un de l’autre et c’est toujours moi qui remanie le plus vite.
La liste d’admission qui commande un éventuel conseil des ministres, je la fais mille fois par semaine. Les listes complémentaires, celles que l’on fait fuiter, je les fais chaque soir avant de me coucher. Je sais toutes les listes du cirque au nom près et, en lisant en diagonale, je les vois passer au ralenti.
Je me prépare aussi pour ces listes molles et indécises que les hasards d’attribution de la Conjoncture nous imposent. Les listes tordues qui permettent à un Eric Besson, le slalomeur, de devenir un ministre délégué.
Tout compte dans votre carrière.
Un jour, l’essentiel devient la position des Centristes. C’est le Centriste qui fait l’équilibre parfait. Vous avez tranché dans le vif, l’ouverture c’est fini, vous avez changé quatorze fois l’équilibre droite-droite ou centre-centre, vous vous êtes mis en colère et vous avez perdu pour deux ministres parce que vous vous êtes demandé comment faire avec les Centristes.
Quand je dors, je travaille, quand je mange, je travaille. Je lisse mes listes, je modèle mes compositions. Je tiens la tête de liste. Je sors des listes de ma poche.
Lorsque le Président me libère sur la courbe de l’Actualité, il libère des tonnes de travail. Après, il reste un remanieur sur la liste qui n’a plus ni cœur, ni père, ni mère, et qui remanie sans limoger pour arriver en bas de la liste plus vite que les autres hommes.
C’est la règle.
Et puis il y a le moment qui arrive forcément dans une vie, le seul moment de vrai repos, de repos absolu. Le repos du remanieur.
Vous avez passé le ministre d’État et le garde des Sceaux, vous avez fait le plus gros, vous rentrez dans la zone des ministres délégués et vous faites cette minuscule erreur d’équilibre, cette petite faute stupide (qui n’est pas d’inattention puisque les remanieurs ignorent l’inattention) qui vous éloigne de la liste idéale. Et là, c’est le vrai repos, le repos immense. Vous avez déjà perdu les ministres d’ouverture, puis très vite les ministres de la diversité et la composition entière. Plus rien n’a d’importance, vous n’êtes plus un remanieur, votre concentration se relâche, votre esprit se libère, vous savez que vous allez vous retrouver sans portefeuille.

Cet « autoportrait du renanieur de gouvernement » essaie d’appliquer une contrainte oulipienne systématisée avec gourmandise dans un recueil de nouvelles qui vient de paraître aux éditions Mille et une nuits. C’est un métier d’homme réunit les « autoportraits » écrits par les Oulipiens depuis désormais près de trois ans, tous calqués sur la nouvelle « Le descendeur », de Paul Fournel. Des textes de Michèle Audin, Marcel Bénabou, Paul Fournel, Frédéric Forte, Michelle Grangaud, Jacques Jouet, Hervé Le Tellier, Daniel Levin Becker, Ian Monk et Olivier Salon.

On a vraiment plaisir à travailler sur cette trame . Et les possibilités sont immenses. Je ne sais pas pourquoi c’est ainsi, pourquoi ce petit texte de Fournel se prête aussi généreusement au pastiche …
Quand j’ai écrit « le trader« , je ne connaissais celui de Benabou « le spéculateur »
Puis, j’ai fait « le hableur« , « le pollueur » et « le grimpeur »
J’ai aussi essayé avec autre chose qu’un personnage : « le Big Bang »
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~&~
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Merci de tous ces textes et de votre blog à découvrir…
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