L’une est à l’est de Toulouse, l’autre à l’ouest. Agen et Albi s’affrontaient samedi 6 janvier dans le cadre de la 18e journée du Top 14 de rugby français. Match équilibré, quasi symétrique. Les deux équipes étaient au coude-à-coude au classement. Agen 7e, Albi 10e. Au final, les Albigeois sur leur terrain se sont imposés 10 à 6.
Le quotidien Libération du même jour consacrait deux pages à « Agen pack du monde ». Selon Stéphanie Platat le Sporting Union Agen (SUA) compte dix nationalités, des rugbymen qui viennent de l’Est, de Russie, de Roumanie, du Sud (Afrique australe) et des antipodes (Nouvelle-Zélande, Samoa, Tonga).
L’un des joueurs samoan d’Agen, Rambo Tavana, arrivé depuis peu dans le Sud-Ouest, est très étonné des différences de comportements entre Français et Samoans : « Ici les gens demandent de l’argent dans les rues, certains dorment dehors, ça me révolte, je me sens triste, ces différences me donnent envie de pleurer. » Quel Don Quichotte ce Rambo!
Sa réaction rappelle le récit de Touiavii, chef de la tribu de Tiavéa, rapporté par le voyageur allemand Erich Scheurmann dans les années 1920 (Le Papalagui, les propos de Touiavii, chef de la tribu de Tiavéa, dans les mers du Sud, éditions Pocket) :
« Le Papalagui est obsédé par le métal rond et le papier lourd qui régissent toute sa vie; le Papalagui a inventé un objet qui compte le temps; depuis il court sans cesse derrière. »
On pense aussi à Marco Polo (1254-1324) bien entendu, dont Le devisement du monde, rédigé après vingt-quatre années de voyage en Extrême-Orient sur le Route de la soie notait, comme on le voit ci-dessus, que les Mongols ont été les premiers à utiliser la monnaie sous forme de papier…
Moins connu, mais tout aussi saisissant est le témoignage de Luís Fróis, jésuite qui a passé trente ans au Japon, au XVIe siècle. Un petit livre liste ses observations méticuleuses sur des comportements qui semblent aux antipodes (Européens et Japonais, Traité sur les contradictions et différences de mœurs, préface de Claude Lévi-Strauss, éditions Chandeigne, 1998).
On relève, page 28 : « Chez nous il est rare que les femmes sachent écrire; une femme honorable au Japon serait tenue en basse estime si elle ne savait pas le faire. »
Mais: « Chez nous, les prénoms des femmes sont empruntés aux saintes; ceux des Japonaises sont: marmite, grue, tortue d’eau, espadrille, thé, roseau, etc. »
Et si l’étonnement gouvernait le monde ?
Ainsi Agen et Albi sont géographiquement symétriques, Français et Japonais du Moyen Âge avaient des comportements inverses (explique Claude Lévi-Strauss dans sa belle préface), comme les deux faces d’une même médaille, qui les font se rejoindre paradoxalement, et les rugbymen samoans qui jouent dans le Sud-Ouest font connaître la cité du pruneau au-delà des mers…
Noté sur le blog du quotiden La Dépêche du Midi, ce commentaire signé Sualex :
« Ce qui est bien c’est que grâce à des joueurs comme Rupeni Caucaunibuca (de dos, à droite sur la photo), Agen est connu dans le monde entier. Souvent il m’arrive d’échanger sur des forums « sudistes », telle ne fut pas ma surprise de voir qu’on parlait regulierement d’Agen au fur et à mesure des exploits de Caucau. Les Tongiens demandent des nouvelles des deux jeunes Fonua et Ahotaeiloa. Les Samoans croient beaucoup en Rambo Tavana, ils le voient comme futur ouvreur de leur équipe nationale (poste qu’il n’occupe pas à Agen barré par Gelez, Miquel et Tesquet en espoirs).
Du coup ils demandent : « Mais où est passé Rambo ? » Aussitôt après, un autre répond : « Il est à Agen, le club à Caucau ». Agen restera comme le club à Caucau pour les sudistes.
Souvent décrié, cette internationalisation de l’effectif, bien qu’elle soit la conséquence d’un meilleur rapport qualité/prix permet à Agen d’etre reconnu mondialement. Que ce soit au Canada, en Argentine, en Afrique du Sud, Agen est connu de tous. »
Aux dernières nouvelles donc, Agen a été battu par Albi. Mais Rambo n’a pas dit son dernier mot…

« Le Papalagui est obsédé par le métal rond et le papier lourd qui régissent toute sa vie; le Papalagui a inventé un objet qui compte le temps; depuis il court sans cesse derrière. »